Bercé d'illusions

    Déconnexion en cours…

    À chaque fois qu’il retirait son masque, une intense nausée le tenait collé à son siège pendant plusieurs minutes. Samuel s’étira, respira profondément, mais elle était toujours là. Il but dans le verre d’eau qui était encore à côté de lui, le liquide qui datait de plusieurs heures ne fit que renforcer ses hauts le coeur. Quelques minutes de plus et il se sentit suffisamment mieux pour se lever. Il replaça ses petites lunettes rondes sur son nez et enfila rapidement un t-shirt.

Son frigo vide lui rappela qu’il n’était pas sorti depuis une bonne semaine, au moins. Il soupira, dénia glisser dans un pantalon et lasser ses chaussures. Il gémit à chaque mouvement sous le poids de son propre corps, chaque mouvement semblait lui demander un effort immense. Mais le plus dur allait venir.

    Le cerveau est une chose bien malléable, et pourtant, il est bien difficile de lui faire accepter le changement en passant d’un monde à l’autre. Il aura fallu des décennies de recherches pour créer le casque parfait, celui qui permet aux êtres humains de se plonger totalement dans les univers virtuels et de leurrer leur esprit. À présent, il fallait réapprendre à croire en la réalité. À votre avis, quelles réalités préfèrent-ils ?

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Le feu des sang-mêlés

    Pour la troisième fois depuis la nouvelle lune, le clan fuyait à la recherche d’un nouvel endroit sûr. Cette fois-ci, leur éclaireur avait repéré le corps encore chaud d’un enfant métis. À la faveur de la nuit, le clan de Zikomo traversait la plaine en silence, passant d’un bosquet à l’autre en portant sur leur dos la moindre de leurs possessions pour ne laisser aucune trace derrière eux.

C’était un clan typique de métisses de Dulka, nullement lié par le sang dans leur veine, mais par celui versé par leurs parents. Ces compagnons de misères erraient depuis les purges menées par les natifs au sang pur. Bien qu’elle soit pourchassée comme les autres, Sila comprenait très bien leur colère. Le peuple de ses ancêtres avait envoyé de nouveaux colons et construit d’immenses villes sur Dulka, expulsant avec force et violence les clans qui occupaient ces terres depuis des siècles et même plus. Ses propres parents n’étaient alors que des enfants, mais les souvenirs étaient vivaces et leur voix empreinte de peine quand il contait cette histoire à la toute jeune Sila. Pacifiste à l’origine, le peuple de Dulka se souleva alors contre ses membres métisses, les repoussant, les maudissant et les rendant coupables de leurs malheurs. Les plus belliqueux exécutèrent purement les sangs mêlés, premiers pas vers un terrible génocide. Sila a été recueilli par Zikomo après avoir été banni de son clan, une terrible punition. Car s’il est une chose que le peuple de Dulka craint par-dessus tout, c’est bien la solitude.

— La force d’une personne se mesure à la force de son clan.

Ainsi parlait Zikomo.

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Pionniers

    Agathe attendait patiemment sur son siège qu’Elias, son supérieur, la rejoigne. Celui-ci serrait vigoureusement le bras de chacun des membres d’équipage de la mission Exeré. Le départ de la navette était prévu dans une demi-heure, personne ne semblait pourtant se presser. La salle de contrôle était étroite, les éclats et les accolades résonnaient sur les parois de métal du vaisseau qui l’abritait. Le calme soudain surprit la jeune apprentie, elle était à présent seule avec Myron, l’un des ingénieurs de la mission.

– Ça y est. Ils vont rejoindre la navette. Pas trop nerveuse ?

– Un peu, mais ce n’est pas moi qui vais passer le portail !

– C’est vrai, dit-il d’une voix moins enjouée.

L’angoisse grimpa d’un cran. L’échec de la mission précédente pesait sur eux depuis le début, mais elle avait toujours fait en sorte de garder son optimisme.

– Agathe ? Test synchro, fit la voix de son maître.

Elle se dressa sur sa chaise et se rapprocha plus que nécessaire du cristal de communication.

– Test synchro OK.

Myron esquissa un sourire en se penchant sur le classeur des procédures d’urgence. Allez, professionnelle !

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L'Oiseau de Mort - Extrait du Chapitre premier

    Les premières lueurs de l’aube frappaient à peine les terrasses que la ville grouillait de monde. Les commerçants haranguaient les premiers voyageurs, tout en installant leurs étals de pierres magiques et d’étoffes luxueuses. Braillant plus fort que les autres, les vendeurs d’épices exhibaient leurs marchandises dans une débauche d’odeurs qui prenait immédiatement les narines. Je pressai le pas, les sens à vif. Un porteur passa devant moi sans me voir. Courbé sous la charge du lourd panier posé sur sa tête, il se fraya un chemin au milieu du flot capricieux de la foule jusqu’à y être engloutie à son tour. Trop d’agitation, de couleurs, de sons. Le calme de la campagne me manquait déjà, j’avais hâte d’en finir avec cet endroit.

Je circulais bien plus lentement que je ne le souhaitais et une autre âme pressée faillit me bousculer. Affichant ouvertement mon impatience, je redressai la tête et basculai mes épaules en arrière. La médaille de l’Ordre qui pendait à mon cou brilla d’une lumière surnaturelle, attirant immédiatement les regards. Les passants s’écartèrent alors avec déférence et je pus m’éloigner du plus gros de la foule rapidement.

    Après plusieurs détours, j’arrivais devant un établissement où naissait une agréable musique. Au-dessus de sa porte, une enseigne aux détails soignés annonçait le Poisson d’Or. J’en franchis l’entrée et respirai un doux parfum de menthe et de cannelle. Un danseur élégant frappait dans un tambourin depuis le coin dégagé de la grande salle, il était accompagné d’un joueur de flûte tout aussi joliment vêtu. Partout ailleurs, des sofas moelleux et des banquettes couvertes de coussins invitaient à la détente. Quelques-uns étaient même disposés dans de petites alcôves séparées par des voiles vaporeux et d’épais rideaux arborant des motifs complexes à l’image de ces légendaires poissons.

Les clients, peu nombreux à cette heure du jour, buvaient en discutant calmement. Je choisis un fauteuil libre, dos au mur, et m’y assis en agitant les multiples étoffes de ma tenue bariolée. À la vue de ma médaille, le tenancier s’empressa de me saluer et déposa un thé accompagné de gâteaux au miel sur ma table basse. Ces offrandes aux pèlerins étaient courantes, si bien que je le remerciais machinalement, sans même regarder son visage. Quand il trotta vers un autre client, je profitais enfin de la tranquillité du lieu.

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Perdu dans un mirage

    Un vaste manteau de nuages masquait la géante gazeuse sans nom qui, à cette époque de l’année, emplissait la majeure partie du ciel de E1-125. Un portail de taille modeste vint troubler cette monotonie cotonneuse et plusieurs vaisseaux de l’Empire en jaillirent dans un vrombissement sourd.

Je frissonnais. Ce n’était pas à cause de la température glaciale qui régnait à l’extérieur. J’avais juste toujours détesté les voyages intersphères. Contrairement à mes deux compères, je n’étais pas un mage et j’avais toujours eu peur de me retrouver bloquée entre deux mondes. Imaginez que l’un des portails vienne à rompre la liaison ! Encore une fois, nous avions franchi le passage sans encombre, à mon grand soulagement.

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Passé, présent, futur

    Alors qu’il se lamentait sur sa dernière expérience qui avait une nouvelle fois donnée des résultats absurdes, Louis reçut un appel de sa cousine. Il activa le vidphone et une femme aux cheveux frisés apparut.

— Emma ? J’espère que c’est important, je suis très occupé.

C’était totalement faux, mais il n’était pas d’humeur à socialiser.

— Dans ce cas, je vais proposer cette découverte à un chercheur plus amical, répliqua-t-elle froidement.

— De quoi tu parles ?

Elle sourit avec malice.

— Je t’ai parlé de ce nouveau chantier qui démarrait il y a quelques semaines, non ?

— Une énième route ou un truc fascinant dans le genre.

— Rabat-joie. Bref. Nous faisions les derniers repérages avant que les engins n’arrivent et mes géomètres ont détecté une énorme masse métallique sur le tracé.

— Tu sais, les cailloux, c’est pas mon truc. Y’a plein de géologues que je peux te conseiller, si ça peut me permettre d’être tranquille.

— Si tu me laissais finir ? Je vais finir par croire que tu es devenu un vieux grincheux. Donc… j’en étais où ? Ah oui. On a déjà fait venir un géologue, puis un archéologue, puis un second.

Louis tâchait du mieux qu’il pouvait de cacher son intérêt naissant.

— C’est un objet artificiel n’appartenant à aucune culture connue, ancienne comme récente, continua-t-elle. Et les premières analyses du matériau principal n’ont pas permis d’en déterminer la composition.

Il était sceptique, il savait que les experts de sa cousine étaient des amateurs.

— Tu veux donc que je vienne humilier, une nouvelle fois, ton équipe ? Je te préviens, si je me déplace encore pour trouver un vieux coffre rouillé, tu me devras un resto.

Elle redressa la tête avec assurance.

— Vendu.

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Encore une attaque

    Encore une attaque. La troisième en une semaine. La ville est en état d’alerte, les marins ne veulent plus sortir en mer et pourtant ils n’ont pas vraiment le choix. Vous savez, les chats et le poisson…

    Mira était une Nimravi, un peuple d’êtres félins vivant dans les archipels d’Orianesse. Si la plupart des miliciens préféraient s’équiper d’un pistolet, n’exigeant aucune condition physique particulière ni la moindre sensibilité magique, Mira quant à elle ne jurait que par son épée. C’est en tenue complète qu’elle quitta les dortoirs sous les derniers rayons de soleil et s’engouffra dans les ruelles de la petite ville portuaire. L’agitation de la journée s’était calmée et les lampadaires s’allumèrent dans un petit grésillement singulier. Elle se dirigeait vers l’entrée nord, bien qu’aucune porte n’en marquait l’emplacement, c’est ainsi qu’on l’appelait. À une centaine de mètres, une petite tour se dressait en dominant la forêt qui s’étendait par-delà. Mira grimpa à l’échelle et s’installa sur sa chaise. Ainsi commença la première garde.

Comme d’habitude son équipier était en retard, ce qui lui laissa le temps de penser. Les évènements de la journée tourbillonnaient dans sa tête. Une nouvelle attaque de delfins, deux hommes noyés et plusieurs autres blessés. Et dire qu’un mois auparavant, les enfants jouaient avec ces paisibles créatures quand elles s’approchaient du rivage. Que s’était-il passé ? Le grincement de l’échelle la sortit de ses pensées.

— Usco ? Enfin, te voilà. Encore en retard. Heureusement que les delfins ne savent pas marcher. Qu’aurais-je fais sans toi ?

— Ne te moque pas de moi. Je ne suis peut-être pas doué à l’épée, mais je manie mieux le pistolet que toi. De mon lit, je pourrais venir à ta rescousse !

— Pouah, la magie ! Je te laisse ça volontiers.

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Cape, zombie et pistolet laser

    S’il est un nombre que mon peuple redoute, c’est bien le nombre trois. Nulle part dans la nature, les choses ne vont par trois. Une bouche, deux yeux, quatre pattes, cinq doigts. Il est contre nature. Quand mes pouvoirs furent décelés, la joie de mes parents fut teintée d’angoisse. J’étais une élue, touchée par la grâce du dieu de l’eau, le puissant Norian. Mais j’étais la troisième.

    Sardar fut le premier. Puissant géomancien, seule sa droiture rivalise avec son sens du devoir. Il était promis à un brillant avenir, celui de chef spirituel de tous les mondes. Mais l’année suivante, Arun fut révélé. L’éolien bouleversait les plans des oracles, il démontra rapidement que c’était là l’une de ses principales occupations.

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L'histoire appartient aux vainqueurs

    Une jeune domestique entra doucement, les yeux vissés sur le sol. Le maître déposa son livre près de lui et retira une paire de lunettes rondes. Le regard paternel du maitre Murati était accentué par sa longue barbe blanche qu’elle avait elle-même brossé ce matin-là.

— Qu’y a-t-il, mon petit ? Mon neveu est-il arrivé ?

La jeune femme acquiesça en silence d’un hochement de tête, faisant tomber une longue natte noire de ses épaules. Il souris, leva les bras et claqua dans ses mains. En quelques instants la maison se mit en branle.

    Le jeune homme qui s’était présenté à l’entrée de la maison contrastait en tout point avec son oncle, à l’exception du turban aux couleurs de leur famille. Le neveu portait une courte barbe brune et une fine moustache sophistiqué. Son cou et ses bras étaient encombrés de nombreux bijoux précieux. Le maître de maison l’accueillit chaleureusement dans une tunique simple aux motifs délicats et pour seule parure la dague sertie de pierres représentant son ancien rôle dans l’armée qui pendait à sa ceinture.

— Yashesh, mon neveu. J’espère qu’Étuviel a veillé sur ton voyage. Mon toit est ton toit.

— Je le respecterais comme celui de ma propre maison, répondit-il en s’inclinant comme le voulais la coutume. Je vous remercie mon oncle. Le voyage s’est bien passé, je suis désolé de vous avoir prévenu si tard de ma venue.

Murati posa une main chaleureuse sur l’épaule de son neveu Yashesh.

— N’en parlons plus. Viens donc. Allons nous rafraîchir dans les jardins, tu me donneras des nouvelles de la capitale et de la famille.

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L'attrait du vide

    L’air vibrait à ses oreilles et la lumière lui brûlait les yeux. Le ciel se déchira. Le bras de l’enchanteur Oshan tremblait sous l’effort. Il brandissait une pierre rouge reliée par un fin filament de magie à la fissure qui s’agitait de plus en plus.

— J’y suis presque, il ne me reste qu’à le stabiliser. Apporte-moi ce qu’il faut.

Son compagnon, le maître mage Rishivi, s’inclina rapidement avant de se hâter vers l’astronef. Au pied de la rampe, plusieurs caisses de matériel attendaient. Rishivi ouvrit l’une d’elles et en sortit un long cylindre orné de motifs complexes. Il prononça une formule en langue ancienne, une lueur bleue s’empara de l’objet.

— Que fais-tu, donc ? Je ne vais plus tenir longtemps !

— Le voilà.

Rishivi plaça le cylindre au centre d’un cercle magique tracé devant Oshan. Ce dernier déposa sa pierre au-dessus. La face supérieure de la boite parut soudainement liquide et le joyau glissa à l’intérieur jusqu’à s’y fondre.

— Par le grand Voyageur, enfin.

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