Encore une attaque

    Encore une attaque. La troisième en une semaine. La ville est en état d’alerte, les marins ne veulent plus sortir en mer et pourtant ils n’ont pas vraiment le choix. Vous savez, les chats et le poisson…

    Mira était une Nimravi, un peuple d’êtres félins vivant dans les archipels d’Orianesse. Si la plupart des miliciens préféraient s’équiper d’un pistolet, n’exigeant aucune condition physique particulière ni la moindre sensibilité magique, Mira quant à elle ne jurait que par son épée. C’est en tenue complète qu’elle quitta les dortoirs sous les derniers rayons de soleil et s’engouffra dans les ruelles de la petite ville portuaire. L’agitation de la journée s’était calmée et les lampadaires s’allumèrent dans un petit grésillement singulier. Elle se dirigeait vers l’entrée nord, bien qu’aucune porte n’en marquait l’emplacement, c’est ainsi qu’on l’appelait. À une centaine de mètres, une petite tour se dressait en dominant la forêt qui s’étendait par-delà. Mira grimpa à l’échelle et s’installa sur sa chaise. Ainsi commença la première garde.

Comme d’habitude son équipier était en retard, ce qui lui laissa le temps de penser. Les évènements de la journée tourbillonnaient dans sa tête. Une nouvelle attaque de delfins, deux hommes noyés et plusieurs autres blessés. Et dire qu’un mois auparavant, les enfants jouaient avec ces paisibles créatures quand elles s’approchaient du rivage. Que s’était-il passé ? Le grincement de l’échelle la sortit de ses pensées.

— Usco ? Enfin, te voilà. Encore en retard. Heureusement que les delfins ne savent pas marcher. Qu’aurais-je fais sans toi ?

— Ne te moque pas de moi. Je ne suis peut-être pas doué à l’épée, mais je manie mieux le pistolet que toi. De mon lit, je pourrais venir à ta rescousse !

— Pouah, la magie ! Je te laisse ça volontiers.

    Usco s’installa sur sa propre chaise et observa à son tour la forêt qui s’étendait devant eux. L’air marin qui soufflait dans leur dos leur rappelait que les temps n’étaient plus aussi calmes.

La nuit avançait et rien ne se passait. La relève n’allait plus tarder et leur attention se relâchait doucement quand ils entendirent un grondement sourd en provenance de la forêt. C’était à peine s’ils respiraient et leurs queues s’agitaient nerveusement. Mira brisa le silence et se leva brusquement.

— Quelque chose cloche. Là bas !

Usco l’imita. Il crut tout d’abord que la fatigue lui jouait des tours car il vit les sous-bois se mouvoir dans la direction du village. Le sol semblait avancer à la manière d’un raz-de-marée sombre qui suivant inexorablement sa route. Il distingua ensuite la masse grouillante d’une multitude de créatures. Sa main se porta instinctivement à l’arme accrochée à ceinture, celle de Mira brandissait déjà son épée.

— Tu as des meilleurs yeux que moi, qu’est-ce que c’est ? demanda Mira.

— Des léporides ? Une multitude de léporides ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— Je descends. Usco sonne l’alarme puis couvre moi.

— Mira ! Fais gaffe, les bêtes sont folles ces derniers temps !

    La cloche se mit à résonner, suivit par une ribambelle de sons de cloche qu’on frappait dans tous les postes de garde de la ville. Usco se mit en position et tira sur les rongeurs qui tentaient de sauter dans le dos de Mira. Autour d’elle déjà un tapis sanglant de chair et de boyaux s’était formé, mais la horde de léporides était si grande que ses efforts semblaient bien insignifiants. Ils n’étaient que dents et griffes, s’attaquant à tout ce qui leur barraient la route. Elle ne tarda pas à battre en retraite dans la ville pour tenter de sauver ce qui pouvait l’être.

    Des léporides, certes, mais en si grand nombre qu’on n’aurait pu imaginer les dégâts qu’ils causèrent. En plus de la nourriture saccagée et des vêtements lacérés, les habitants ne comptaient plus le nombre de morsures qu’ils avaient reçut et le seule générateur magique du village n’avait résisté que quelques secondes à l’assaut des rongeurs. Et pourtant, le plus surprenant fut de les voir se jeter d’eux-même dans la mer et de s’y noyer. Le port avait pris des airs macabres aux premières lueurs de jour. L’émotion de la nuit passée, les habitants entreprirent de monter des défenses.

— Ça ne peut plus durer. Y’a quelque chose de pas normal, dit Mira alors qu’elle portait à sa bouche une gourde.

— Ah bon ? Tu crois ça ? répondit avec sarcasme Usco qui s’était assis pour reprendre son souffle.

— Joue pas au plus malin, tu sais très bien ce que je veux dire. On monte une palissade autour du village pour se protéger des attaques de léporides je te rappelle.

— Déjà qu’on manque de bois, toute notre réserve et celle de l’année prochaine passe dans cette muraille. Mais après les delfins et les léporides, ça sera quoi ?

— Tu avais raison, les bêtes sont folles.

Les autres travailleurs étaient tous volontaires mais bien peu avaient l’espoir que cet entreprise rencontre un réel succès. A chaque attaque, les dégâts étaient plus important et ça ne serait pas ce rempart de bois qui les protégerait. Elle dut s’avouer qu’elle était du même avis qu’eux.

— Quelque chose déboussole ces créatures. Ce n’est pas la colère que j’ai vu dans les yeux mais plutôt la peur, dit-elle tout bas, pour elle-même.

Ils continuèrent leur tâche en silence, des pensées sombres en tête.

    L’ouvrage fut terminé bien avant la fin de l’après-midi. Mira décida d’en profiter pour inspecter les sous-bois en espérant trouver une explication à tout ça. Des dizaines de cadavres de lapins parsemaient le sol, mort de sa main ou piétinés par leurs congénères. Elle s’enfonça plus profondément dans la forêt, remontant la piste morbide qui rejoignit rapidement le fleuve puis le longeait pendant presque deux kilomètres. Les traces des lapins se firent de plus en plus éparses jusqu’à se disperser complètement.

— Ils ont dû se rejoindre ici, bloqué par le fleuve, pour ensuite le longer jusqu’au village. Qu’est-ce qui a pu leur faire aussi peur ?

Un craquement soudain dans son dos la surprit, elle se retourna et dégaina son épée. Elle fut éblouie par la lumière d’une torche.

— C’est moi Mira ! Déconne pas, si tu me troues ici ma femme va me tuer, encore une fois.

— Usco ? Qu’est-ce que tu fais là ? Il fait déjà nuit, je ne m’en étais même pas aperçu.

Elle rangea son épée dans son fourreau et jeta un coup d’œil au ciel, le temps tournait à l’orage et la nuit s’annonçait agitée.

— On m’a envoyé te chercher. Tu as trouvé quelque chose ?

— Oui et non.

Un premier éclair gronda non loin, éclairant subitement les environs.

Alors cette chose apparut.

Elle cru d’abord à un léporide géant puis elle distingua les immenses bois d’un cerva. Il était auréolé d’une lumière électrique et qui fixait les deux nimravis.

Mira sorti à nouveau son épée alors qu’Usco se jeta à genoux.

— C’est un avatar !

— Usco lève toi et sort ton arme ! Arrête avec ces histoires d’esprits ou tu les rejoindras bien assez tôt !

La créature se retourna et bondit à la limite de leur champ de vision. Usco se leva et la suivit.

— Qu’est-ce que tu fais ? Usco ! cria Mira. — Il veut nous montrer quelque chose. Tu voulais savoir ce qui se passait ? Je suis sûr qu’il a la réponse.

À contrecœur, Mira lui emboîtait le pas. À chaque fois qu’ils se rapprochaient de la créature, celle-ci s’éloignait pour s’arrêter plus loin. Au bout d’une centaine de mètres, elle s’arrêta net puis disparut dans un nouvelle éclair. La pluie commençait à goutter à travers la frondaison, Mira était épuisée et perdait patience.

— On a l’air malin au milieu de la forêt en plein orage à courir après des mirages, dit Mira alors qu’elle se préparait à rebrousser chemin.

— Mira, chuchota-t-il en montrant le sol devant lui. Regarde ça.

Son pelage se mit à frémir, l’air ambiant était électrique et à l’endroit où se trouvait la créature quelques instants plus tôt se trouvait une déchirure béante dans le sol. Mira passa devant un Usco tétanisé et s’approcha de l’anomalie. Des milliers de filaments colorés se tordaient sous ses yeux, fouettant l’air à chaque fois qu’ils se braisaient et formaient de nouveaux filaments. Ils semblaient venir d’une boule située au fond de la déchirure, torturée et imprécise.

— Qu’est-ce que c’est d’après toi, Mira ? Ce trou tout noir me fiche la trouille, on devrait partir et en parler aux ingénieurs magiques. C’est pas pour nous ça !

Il recula prudemment.

— Tout noir ? On dirait un vrai feu d’artifice là dedans !

Il la regarda avec surprise.

— Ne me dis pas que tu ne vois rien ? Ça put la magie ce truc, et de la dangereuse en plus. Je comprends ces bestioles, ça me donne déjà mal au crâne. Tu as raison, on va confier ça aux ingénieurs magiques.

Un filament plus gros que les autres commença à s’agiter tout près d’Usco, sentant le brin prêt à se briser Mira tira son camarade juste à temps. L’énergie fut malgré tout suffisamment prêt pour échauffer son pistolet qui attira la magie comme un paratonnerre.

— C’était quoi ça ? s’écria-t-il en jetant à terre son arme qui jetait de petites étincelles. Comment tu… ?

Moi ? Avoir un potentiel magique ? Ça me fait une belle jambe. Je refuse, je ne veux pas toucher à cette chose. On m’a dit que j’avais vu une espèce de nœud, un point stable de transit magique. Sauf que celui n’avait rien de stable ! Notre ingénieur en a déduit que c’était sans doute la cause de tous nos problèmes. La solution ? Ça par contre, il a pas plus d’idée que moi.

A.K.