Passé, présent, futur

    Alors qu’il se lamentait sur sa dernière expérience qui avait une nouvelle fois donnée des résultats absurdes, Louis reçut un appel de sa cousine. Il activa le vidphone et une femme aux cheveux frisés apparut.

— Emma ? J’espère que c’est important, je suis très occupé.

C’était totalement faux, mais il n’était pas d’humeur à socialiser.

— Dans ce cas, je vais proposer cette découverte à un chercheur plus amical, répliqua-t-elle froidement.

— De quoi tu parles ?

Elle sourit avec malice.

— Je t’ai parlé de ce nouveau chantier qui démarrait il y a quelques semaines, non ?

— Une énième route ou un truc fascinant dans le genre.

— Rabat-joie. Bref. Nous faisions les derniers repérages avant que les engins n’arrivent et mes géomètres ont détecté une énorme masse métallique sur le tracé.

— Tu sais, les cailloux, c’est pas mon truc. Y’a plein de géologues que je peux te conseiller, si ça peut me permettre d’être tranquille.

— Si tu me laissais finir ? Je vais finir par croire que tu es devenu un vieux grincheux. Donc… j’en étais où ? Ah oui. On a déjà fait venir un géologue, puis un archéologue, puis un second.

Louis tâchait du mieux qu’il pouvait de cacher son intérêt naissant.

— C’est un objet artificiel n’appartenant à aucune culture connue, ancienne comme récente, continua-t-elle. Et les premières analyses du matériau principal n’ont pas permis d’en déterminer la composition.

Il était sceptique, il savait que les experts de sa cousine étaient des amateurs.

— Tu veux donc que je vienne humilier, une nouvelle fois, ton équipe ? Je te préviens, si je me déplace encore pour trouver un vieux coffre rouillé, tu me devras un resto.

Elle redressa la tête avec assurance.

— Vendu.

    Louis coupa le vidphone et se laissa glisser dans son siège. Il jeta un dernier regard sur les graphiques de son dernier échec. Trois fois qu’il reconduisait cette expérience avec un nouveau protocole, et à chaque fois les mêmes anomalies. Il n’arrivait toujours pas à croire que ses calculs puissent être faux. Il prit une profonde inspiration et s’extirpa de son fauteuil. Un tour sur ce chantier me changera les idées, pensa-t-il. Exposer son génie devant plus médiocre que lui était un des petits plaisirs de Louis.

    Il entra les coordonnées que lui avait fournies Emma dans l’ordinateur de sa voiture. Elle démarra dans un léger vrombissement électrique. La musique s’enclencha automatiquement et, comme toujours, elle collait parfaitement avec son humeur du jour. Quand il aperçut les premiers panneaux indiquant le chantier, l’habitacle résonnait d’instruments à cordes jouant une mélodie complexe.

    D’énormes engins étaient parqués à l’entrée du chantier. Le préfabriqué dans lequel l’attendait sa cousine paraissait minuscule à côté de ses mastodontes avides de forêts à raser. Il gara sa voiture tout près et sortit du coffre une grosse valise. Les roulettes heurtaient les cailloux du terrain malmené par les travaux. Il grommela sans craindre de se faire entendre.

— Tu m’as l’air en forme, cousin.

Emma sortait du préfabriqué, un casque aplatissant son épaisse toison et un autre sous le bras. Elle se saisit de ce dernier et le tendit à Louis. Il batailla pour faire tenir la valise droite et visa le casque sur sa tête.

— Où se trouve la curiosité qui résiste à mes médiocres confrères ?

— À quelques kilomètres à l’intérieur de cette jungle. Veuillez me suivre, ô grand maître ! le taquina-t-elle.

Ils montèrent dans une petite voiture tout terrain et foncèrent parmi les arbres où une première tranchée grossière avait été tracée.

— Qu’est-ce que tu peux me dire sur cette chose ?

Elle lâcha d’une main le volant pour la glisser dans le porte-document rangé dans la portière. Elle en sortit un petit dossier qu’elle remit à Louis.

— Voici les rapports de ceux qui t’ont précédé. C’est une énorme masse, plusieurs mètres de haut et encore plus de long. Il nous faudra une grue pour le sortir de là, mais je voulais avoir ton avis avant de toucher à quoi que ce soit.

    Louis feuilleta rapidement les documents. Le rapport du géologue confirmait son incapacité à déterminer la nature des matériaux composant cette masse. S’en suivaient plusieurs propriétés mises en avant par des balayages et des analyses. Il était parfaitement opaque à la plupart des ondes et les outils classiques n’avaient pas permis d’en retirer le moindre éclat. L’artefact, comme le nommaient ensuite les archéologues, était un objet oblong parsemé d’aspérités trop nettes et régulières pour être naturel. Leurs recherches sur la région et les possibles traces de tailles ou d’assemblages n’avaient pas permis de déterminer la période ni même la population à son origine.

    La travée se resserra soudain. La voiturette ralentit son allure et s’approcha doucement d’une large tente de plusieurs dizaines de mètres de long. Emma fit un geste à deux ouvriers qui se précipitèrent pour aider Louis avec sa valise. Celui-ci se crispa quand ils se saisirent de son bagage.

— Détends-toi, ils vont faire attention à ton matériel et tu ne perdras pas une roue dans une racine comme la fois dernière.

Avec appréhension, il s’écarta pour laisser les ouvriers partir sous la tente avec ses instruments. Mais il n’attendit pas l’invitation de sa cousine pour les suivre. Après plusieurs bâches séparant des pièces improvisées, il put enfin le voir. Il frissonna.

— Je sais ce que ça fait, lança sa cousine avant de se placer à côté de lui. La première fois que j’ai pu le contempler en plein, ça m’a fait bizarre à moi aussi. Ceux qui ont fait cette chose devaient avoir un cerveau bien différent de nous. Il s’en dégage une aura dérangeante.

Emma était une fervente amatrice d’art et son appartement regorgeait de sculptures plus étranges les unes que les autres. Et pourtant, elle était perturbée.

    Louis roula des épaules pour se donner une contenance. Il entreprit de faire le tour de l’objet. Louis ne pouvait qu’acquiescer les rapports de ceux qui l’avaient précédé. Ces formes n’avaient rien de naturel et une impression profonde et insaisissable s’en dégageait. Ce pouvait être une forme d’art, mais il en doutait fortement. Et surtout, que faisait-il là ?

Il retourna à sa valise et la vida de ses instruments les uns après les autres. Il mesura, préleva, scanna tout ce qui pouvait l’être. Personne ne le dérangea, Emma avait veillé à ce que tout le monde dégage la zone pendant que son cousin travaillait.

Ils avaient grandi ensemble, leurs parents vivants dans des maisons côte à côte. Même pendant leurs études, Emma avait gardé contact avec Louis, bien que la personnalité bougonne de celui-ci ne se soit particulièrement affirmée depuis. Cela n’avait pas rebuté la jeune femme qui avait beaucoup de tendresse et d’amitié pour lui.

— Alors ? Tes conclusions ? demanda-t-elle.

Il quittait la tente en trainant sa valise derrière lui. Les deux ouvriers de tout à l’heure ressurgir pour la porter jusqu’à la voiturette.

— Impossible à donner pour l’instant, répondit-il sans lâcher son matériel des yeux. Je dois rentrer ces analyses dans mon ordinateur. Je t’enverrais mes conclusions demain.

— Oh, dans ce cas permets-moi de t’inviter à dîner.

— Une autre fois, si tu veux bien. Et puis je dois traiter ces données. Je ne voudrais pas que ça m’occupe trop longtemps.

— Ah oui, tu as de vraies recherches à mener. La circulation de l’énergie.

— Les flux d’énergies dans la matière hécadienne, la corrigea-t-il.

— C’est bien ce que j’ai dit, dit-t-elle avec malice.

    Il dut se rendre à l’évidence, malgré son niveau de connaissances et sa maîtrise élevée, il était parvenu à la même conclusion que les experts d’Emma. Les matériaux qui composaient l’artefact étaient inconnus. Sa première réaction fut de contacter un collègue pour obtenir un accès aux bases de données concernant les analyses de météorites. Il était courant que des objets très anciens soient sculptés dans des roches ou métaux venus du ciel. Cette piste ne fut pas plus prolifique, l’origine comme les caractéristiques de ces matériaux étaient un mystère.

    Il demanda une nouvelle analyse à l’ordinateur, cette fois-ci pour tenter une nouvelle approche. La machine annonça plusieurs heures de travail. Louis soupira en se laissant glisser sur son siège. Il était déjà bien tard et ses yeux le faisaient souffrir. Il coupa les écrans et monta jusqu’à sa chambre.

    Louis relut les résultats. Il n’en croyait pas ses yeux. Tout indiquait que l’artefact n’était pas un simple objet culturel, c’était une machine. Le schéma tracé par l’ordinateur était familier. Un large réseau de lignes serpentait depuis un noeud à l’avant, comme les connexions d’une console ou d’un pupitre de commande. De plus, l’objet était creux et cet espace était assez haut pour qu’une personne s’y tienne debout sans difficulté.

    Était-ce un abri ? Un véhicule ? Quoi qu’il en soit, ce n’était pas le plus étonnant pour Louis. Il tenait à bout de bras deux relevés de mesure imprimés sur du papier. C’était une méthode archaïque, mais il voulait être certain. Le premier venait d’une petite zone à l’avant de l’artefact, le second était tiré de sa dernière expérience. Il correspondait parfaitement. Il tenait quelque chose d’important, c’était évident. Mais quoi ?

    Les pensées de Louis se mélangeaient et lui donnait mal à la tête. Il s’allongea sur son lit et prit plusieurs profondes respirations. À mesure qu’il y réfléchissait, une hypothèse folle s’immisçait dans son esprit. Il la chassa aussi sec. Le temps n’était pas aux hypothèses, il devait y retourner et entrer à l’intérieur, il aviserait ensuite.

Il était resté plusieurs minutes devant le vidphone avant d’appeler Emma. Louis ne voulait pas qu’elle remarque son doute.

— Je n’attendais plus ton appel. Les résultats sont si ennuyeux que ça ?

Elle venait de retirer son casque de chantier et ses cheveux reprenaient lentement leur combat contre la gravité.

— Je peux déjà te confirmer que tes experts ne sont pas si idiots que ça.

Les pommettes de sa cousine se redressèrent avec amusement.

— Cet objet est vraisemblablement artificiel, reprit-il. Mais pour en être certain, je dois faire de nouvelles analyses.

Elle souriait maintenant à pleine dent.

— Je savais que c’était un défi pour toi, cousin ! Si tu es prêt à refaire le déplacement, c’est que ça vaut vraiment le coup. Tu penses que tu vas faire une nouvelle découverte ?

— Je ne m’avancerais pas sur ce point. Il est bien trop tôt pour parler de quelque découverte que ce soit. Mais… (Il fit une pause.) J’aimerais que tu n’ébruites pas trop la chose pour l’instant, je ne voudrais pas d’autres incapables dans les pattes.

Elle se raidit avec des manières exagérées.

— Entendu, capitaine !

Quelqu’un l’interpella hors de vue de la caméra du vidphone. Elle se pencha pour l’écouter.

Elle avait repris l’attitude sérieuse qui l’avait menée à ses grandes responsabilités.

— Je vais devoir y retourner, ce chantier ne va pas avancer tout seul. D’ailleurs, un dernier mot. Je n’attends qu’un mot de ta part pour déplacer cette chose, le planning est plus que chamboulé et les grands pontes commencent à s’impatienter. J’ai réussi à détourner leur attention jusque-là, mais je ne fais pas de miracle. J’aurais tout de même préféré que tu me dises que c’était qu’un vulgaire caillou. Bref, ne tarde pas trop, Louis !

Elle coupa la communication.

    Louis ajusta ses instruments tout le reste de la journée et une bonne partie de la nuit. Quand il partit au petit matin, il affichait son flegme habituel. Mais ce n’était qu’une façade. Avant cela, il avait oublié d’enfiler des chaussures et même sa valise pour monter dans la voiture. Pendant que celle-ci le conduisait jusqu’au chantier, il sortit un petit ordinateur tactile pas plus grand que sa main. Il hésita longtemps à taper les termes de sa recherche. “Théorie des premiers”…

— C’est absurde, murmura-t-il avant d’éteindre soudainement son appareil pour le ranger à nouveau dans sa poche.

    Une grue et un large remorqueur se trouvaient à proximité de la tente recouvrant l’artefact. Visiblement, Emma se tenait prête à libérer le terrain pour le chantier aussi vite que possible. La pression n’était pas du goût de Louis qui se montra encore plus irritable qu’à son habitude.

— Enfin, te voilà, cousin. Prêt à percer le mystère de cette chose ?

Sans un mot, il montra d’un signe de tête les immenses engins.

— Oh, oui. Comme je te l’ai dit, je dois reprendre le chantier au plus vite. Désolée de te mettre la pression, mais si pour l’instant tu pouvais te contenter de nous dire si cette chose est transportable sans nous exploser à la figure, ou je ne sais quoi. On pourra même te la déposer devant ton labo, si ça te chante.

— Je ne promets rien, mais je ferais au mieux, lâcha-t-il à contrecoeur.

    Il souleva la dernière bâche et se trouva à nouveau face à l’objet de ses doutes. Contrairement à la veille, Emma resta avec lui tandis qu’il installait ses instruments. Quand il s’en rendit compte, il stoppa son mouvement pour la regarder.

— Oh, je te dérange ? C’est que je dois montrer aux ouvriers que je cherche à faire avancer les choses. Tu comprends ? Promis, je ne dirais rien et je reste dans mon coin sans te déranger.

Il répondit par un long soupir avant de reprendre son installation.

    Il avait toujours en tête les analyses de la veille et il essaya de les transposer à l’objet devant lui, notamment pour repérer l’emplacement de l’hypothétique console. Alors qu’il scannait l’artefact, il laissa ses mains glisser sur sa surface. Il devait bien y avoir un moyen d’accéder à l’intérieur. Emma tint parole et l’observait en silence.

    Ses doigts s’enfoncèrent doucement et un clic lointain se fit entendre. Un large pan de la paroi s’écarta dans bruit de succion et glissa vers le haut en laissant s’échapper un râle mécanique. Louis se couvrit la bouche pour se soustraire à l’odeur qui l’avait brusquement entouré et lui piquait les yeux.

— Par tous les dieux ! s’exclama Emma avant de se mettre à tousser bruyamment.

À travers ses larmes, il distingua l’intérieur de l’engin qui n’était pas sans lui rappeler un avion. Son regard s’arrêta sur l’un des nombreux compartiments. Une forme anguleuse à l’aspect de cuir émergeait d’une petite couchette. Un haut-le-coeur le saisit quand il réalisa qu’il avait devant lui un cadavre. Il recula et se détourna avant de tousser de plus belle, manquant de justesse de rendre son petit déjeuner. Emma s’approcha avec inquiétude. Il leva une main pour la maintenir à distance. Quand il put enfin parler de nouveau, il lui dit entre deux quintes :

— Tu avais promis de ne pas me déranger, je te demanderais de ne pas t’approcher plus près.

    Il retira sa chemise et la noua derrière sa tête pour protéger sa bouche et son nez. Prenant une profonde respiration, autant pour profiter d’une dernière bouffée d’air frais que pour se donner du courage, il s’engouffra à l’intérieur avec sa lampe de poche.

    C’était maintenant une évidence pour Louis. Il avait devant lui quelque chose qui ne devrait pas exister. Tout scientifique, toute personne logique, ne pourrait croire à l’existence de cet objet.

    Il risqua un oeil vers le cadavre momifié. Réprimant un nouveau malaise, il examina ce qu’il en restait. Déjà quelques poussières se détachaient sous l’effet du courant d’air et laissaient apparaître des os jaunâtres. Les quelques traits que l’on pouvait encore deviner semblaient provenir d’une créature difforme. Les oreilles asséchées formaient une longue pointe. Son crâne était un peu trop allongé, tout comme ses mains. Ses vêtements n’étaient plus que des lambeaux de tissus indistincts le recouvrant. C’en était assez pour Louis, il passa à l’examen de l’engin proprement dit en essayant d’oublier ce regard dérangeant aux orbites enfoncées.

    La ressemblance avec un petit avion était encore plus flagrante maintenant qu’il se trouvait à l’intérieur. Mais par certains aspects, il ressemblait tout autant à un bateau. Il déplia une feuille de papier où était grossièrement schématisé l’emplacement de l’hypothétique console. Elle se trouva bien là. Il avança vers la saillie métallique qui avait été l’armature d’un siège. Celle-ci faisait face à un large panneau en arc de cercle recouvert de quelques commandes comme des boutons et des curseurs. Mais, plus étonnant, deux larges renflements sphériques émergeaient de part et d’autre. Avec précautions, il posa la paume de sa main sur l’un d’eux. Ses doigts atteignaient tout juste les bords de la sphère qui tourna sans difficulté. Surpris, il retira sa main brusquement. Il regarda alentour dans la crainte, ou peut-être l’espoir, de voir quelque chose réagir. La sphère avait stoppé net son mouvement quand ses doigts l’avaient quitté, mais le reste de l’appareil resta silence et poussière.

    À quoi rimait tout cela ? Bien que tout indiquait un objet séculaire, le parallèle avec des technologies récentes était indéniable. Chaque élément sur lequel ses yeux se posaient était à la fois familier et différent.

    Il réajusta son masque de fortune et ressortit son schéma. Une zone entourée de rouge indiquait l’endroit dont les mesures correspondaient à l’anomalie de ses expériences, elle se trouvait tout près de la console. Il replia le document et le glissa dans une poche pour dégager un petit appareil doté d’une paire d’antennes. Il l’alluma et celui-ci émet des bips stridents tandis qu’une courbe chaotique se dessinait sur son écran. Louis sursauta et joua maladroitement sur les boutons de réglage pour faire cesser ce son.

— Louis ? Tout va bien ? cria Emma depuis l’extérieur.

Le bruit se réduit à un lointain sifflement et la courbe se lissa légèrement.

— Oui, ne t’inquiète pas.

— Tu es sûr ? Tu n’as pas besoin d’aide ? Tu pourrais m’en dire un peu plus, quand même.

— Ne rentre pas tant que je ne te le demande pas, dit précipitamment Louis. Je dois me concentrer.

— Bien, bien, répondit-elle, plus bas.

    Il ne comprenait pas ce qui clochait. Il avait presque conçu cet appareil, il ne pouvait pas y avoir de dysfonctionnement. Pourtant, les mesures qui devaient dessiner un tracé parfaitement plat en présence de matière ordinaire étaient à présent complètement absurdes. Plus il s’approchait de la console, plus ce tracé affichait des piques importants. Alors qu’il passait au-dessus d’un large bouton surplombant lui-même un écran qui trônait au centre du cockpit, l’anomalie tant recherchée apparue sur son appareil. Doucement, il appuya dessus. Le bouton était en fait un long cylindre qui jaillit du panneau. Il cala la lampe sous son aisselle et extirpa avec précaution le cylindre. Celui-ci contenait un cristal blanc marqué de zébrures rouges. Il pointa son appareil dessus et confirma qu’il était bien la source du signal qu’il recherchait.

    Je ne peux pas porter la responsabilité de tout ça seul, décida Louis pour lui-même. Il tira sur le panneau qui referma à nouveau l’engin. Emma l’observait en cachant son inquiétude par un brin de colère. Les bras croisés, elle le fixait sans un mot, bien qu’ils furent nombreux à lui brûler les lèvres. Il dénoua son masque de fortune.

— Je… commença Louis. Je peux t’emprunter son vidphone ? Je vais contacter mon laboratoire pour savoir s’ils peuvent faire de la place pour…

Sa voix mourut quand il désigna l’engin. Emma se radoucit. Prise au dépourvu par l’apparente sensibilité de son cousin, il lui fallut quelques secondes pour réagir.

— Oui, bien sûr.

— Ne dit pas à ton équipe ce que tu m’as vu faire, ni même à qui que ce soit. Si on te le demande, tu étais de l’autre côté de cette bâche et tu n’as rien vu.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Qu’as-tu vu à l’intérieur qui te fasse aussi peur ?

— Je serais incapable de te le dire et je ne suis pas certain de vouloir en savoir plus.

Il jeta un dernier regard sur l’objet en priant pour que ce soit la dernière fois, puis se précipita à l’extérieur pour y attendre sa cousine.

    Il resta muet pendant le cours trajet jusqu’au box préfabriqué servant de bureau à sa cousine. Pour sa part, elle lui jetait des regards en biais, à la recherche de la moindre indication sur ce qu’il avait pu trouver à l’intérieur de l’artefact.

    Il contacta son chef de laboratoire qui allait prendre le relais et s’occuper de tout le reste, comme prévenir l’université qui allait surement prévenir à son tour les autorités. Il demanda à ce que son nom comme celui de sa cousine ne soient pas mentionnés. Son chef, bien que surpris, accepta de faire son possible. Louis se satisfit de cette réponse et écourta la conversation dès qu’il le put.

    Il s’apprêtait à partir sans saluer sa cousine qui l’intercepta alors qu’il rangeait ses instruments dans sa voiture.

— Tu t’en vas comme un voleur ? plaisanta-t-elle sans conviction. En tout cas, mes investisseurs vont être contents d’apprendre que le chantier va pouvoir reprendre normalement.

— Tant mieux pour toi, répondit-il sans la regarder.

— Hey, Louis. Donne-moi des nouvelles de temps en temps. Juste pour rassurer ta vieille cousine. Et n’attends pas des mois comme la dernière fois ! Je m’inquiète un peu pour toi.

Il leva les yeux sur elle.

— Euh… je vais essayer d’y penser.

Elle lui sourit.

— Je te dérange pas plus longtemps, file !

Elle le salua de la main et retourna dans son bureau. Un sourire s’esquissa sur le visage de Louis, mais il s’effaça presque aussi rapidement.

    Son regard hagard se perdait dans le paysage qui défilait depuis l’habitacle de sa voiture, mais ses pensées étaient tournées vers l’engin et le cylindre qu’il avait dans sa poche. Pourquoi s’était-il débarrassé de la plus grande découverte de ce siècle, non, de ce millénaire, et avait-il gardé ce cristal sans même le mentionner à qui que ce soit ?

    Le malaise de son excursion se raviva. Ce n’était pas un faux, un décor ou une farce abandonnée là. Le cadavre semblait bien réel et ses instruments ne pouvaient être bernés par le premier venu. Deux légendes lui trottaient avec insistance dans la tête. Si on lui avait annoncé sa propre découverte, il aurait hurlé au canular sans hésiter. Et il aurait préféré que ça le soit. Ces légendes, pensait-il jusqu’alors, n’étaient que des contes inventés par ses ancêtres pour expliquer ce que la science fit des siècles plus tard. Il y avait la théorie des premiers êtres qui auraient colonisé notre planète depuis un monde imaginaire et nous aurait appris l’agriculture, l’astronomie et l’écriture. De l’autre, celle qui lui paraissait la plus probable depuis ce jour, se trouvait la théorie de l’inframonde. Cela expliquerait tout. Un monde souterrain, peuplé par ses ancêtres qui aurait évolué différemment comme ce cadavre. Il aurait pu inventer un véhicule permettant de traverser les passages que l’on situe généralement dans l’océan inexploré.

— Je deviens fou ! Je suis un scientifique, comment je peux imaginer que ce soit possible ? murmura-t-il tout en déchargeant sa voiture.

    Il jeta un oeil en contrebas où la ville s’étendait. Sa propre maison était à l’écart sur une large propriété lui permettant autant de faire ses expériences personnelles sans interférence que ne pas être importuné par un éventuel voisinage. Rien n’avait changé, s’aperçut-il avec soulagement. Il allait pouvoir reprendre ses expériences et oublier tout ça, il était même contrarié par avance, ce qui lui arracha un sourire satisfait.

    Un tintement dans sa poche se rappela à son souvenir quand il referma le coffre de sa voiture. Il sortit le cylindre de sa poche, ne serait-ce que pour vérifier que tout ça était bien réel. Le cristal irradia d’une lueur jaune et s’échauffa légèrement à travers le verre, ou quelque soit la matière transparente qui l’entourait. Louis réprima l’envie de lâcher. Un craquement sourd au dessus de sa tête détourna son attention du cylindre. L’air devint électrique dans un ciel pur et sans nuages, jusqu’à ce qu’il se déchire dans un puissant flash.

    Louis se protégea les yeux de ses deux bras. Le cylindre tomba au sol sans se briser et perdit lentement de son aura. Quand il put à nouveau lever les yeux, Louis se figea de stupeur. Un puit multicolor trouait alors le ciel.

A.K.