La grande Fracture

    Aucune lumière n’irradiait des parois, mais l’odeur âcre du Morvek embaumait l’obscurité. La première chasseuse se tourna vers son frère.

— Où ? signa Lyra.

Les narines de Kaën frémirent.

— Proche. Attendre.

Lyra se ramassa près du sol pour se placer à la hauteur de sa proie. Une étroite galerie fendait la roche au devant d’eux. À l’entrée, une tache irrégulière dégageait une faible chaleur. Le Morvek était passé par ici.

Kaën se tendit en devinant l’intention de sa sœur.

— Attendre ! signa-t-il à plusieurs reprises.

Lyra l’ignora. Le corps de la chasseuse évoluait avec la souplesse de l’eau sans émettre le moindre son. Elle se glissait dans l’air aussi aisément que la pointe d’une flèche. Kaën retint son souffle.

    La traînée fumante guida Lyra dans une cavité humide. La pente sous ses pieds menaçait de la faire glisser entre la foule de stalagmites jusqu’au bassin opaque qu’elle devinait une dizaine de mètres plus bas.

Un frémissement sonore se réverbère entre les concrétions calcaires. Avec précaution, la chasseuse s’approcha. Le moindre faux pas, tout ce qui se trouverait dans cette grotte serait alerté de sa présence, si elle ne tomba pas simplement dans l’eau stagnante.

Elle contourna une veine de cristaux tranchants et il était là. Inconscient du danger, le Morvek frottait son horrible museau sur le calcaire, recouvrant de lait ses tentacules nasaux.

Le monstre agita soudain la tête. Du mucus jaillit de ses tentacules, attaquant aussitôt la roche friable. Il tira une langue charnue et baveuse pour enduire des griffes plates. Lyra nota l’emplacement exact dans son esprit. Elle reviendrait plus tard avec une pioche pour récolter les cristaux précieux qu’il avait flairés en dessous.

    Lyra expira lentement. Sa main se raffermit sur sa courte lance. Ses genoux se plièrent. Le Morvek planta ses griffes dans la pierre fumante. Alors, elle bondit. La pointe s’enfonça avec précision entre deux plaques de chitines. Le monstre se secoua pour atteindre Lyra avec ses jets d’acides, mais la jeune femme appuyait de toutes ses forces pour bloquer sa proie sur place.

    Pendant de longues secondes, seuls le chuintement de l’acide, le clapotis de l’eau et le raclement des griffes troublèrent les ténèbres. La respiration de Lyra resta silencieuse malgré l’effort, en digne héritière du peuple souterrain.

Enfin, le Morvek cessa de se débattre. Un dernier spasme vida les tentacules d’un liquide épais avant de retomber, inanimé.

— Je t’avais dit d’attendre, réprimanda Kaën à voix basse. On chasse toujours le Morvek à deux. Regarde pourquoi.

Il désigna la jambe gauche de Lyra où de l’acide l’avait effleuré et brûlé son pantalon. Des cloques se formaient déjà sur sa peau à découvert. Envahie par l’esprit de la chasse, elle n’avait pas senti la brûlure.

— Pas grave, se défendit-elle.

Elle tira le couteau à sa ceinture et trancha la langue pendante du monstre. Une gelée poisseuse s’en écoula. Elle pressa l’organe comme un fruit mûr au-dessus de sa plaie. Son visage se tordit de douleur.

— Voilà, signa-t-elle d’une main raide. — Ça ne suffira pas. Je vais le faire, décida son frère en s’emparant de langue.

Elle recula et manqua de glisser, elle se rattrapa de justesse à une stalactite au ras du sol.

— Non ! La poche. Plus urgent.

    Une odeur nauséabonde s’échappait déjà du museau du monstre. Si la poche d’acide n’était pas rapidement retirée, elle contaminerait toute la chair. Et cette chasse aurait été vaine.

— Bien, se résigna Kaën. Mais après, on rentre. Ce passage nous est inconnu.

    Lyra hocha vivement la tête et bascula le Morvek. D’un mouvement précis du poignet, elle décolla la seconde plaque de son ventre et entailla le côté droit. Tandis qu’elle maintenait l’ouverture, Kaën glissa une sorte de pelle fendue dans les entrailles du monstre. Le métal crépita. Il sortit la poche qui suintait déjà de son dangereux liquide.

— Vite, fit Lyra.

    Il pressa sur le cordon à l’aide d’un fragment de calcaire. Il fondit en quelques instants quand l’organe se vida se mélangea au lait karstique. Kaën s’éloigna vivement pour se protéger de la vapeur agressive.

    Ils ne leur restaient qu’à prendre cette nouvelle route qu’il avait ouverte jusqu’au nid avec cette proie de choix. Lyra posa sa main sur la hampe de sa lance pour la dégager. Une série de clapotis rapprochés monta de l’ombre. Elle se figea. Ce n’était pas le bruit de l’eau.

Son frère la fixa avec effroi. Leur cœur d’ordinaire discret cognait si fort qu’il résonnait à leur oreille.

— Guetteur, signa Kaën. Derrière.

Ses doigts tremblaient.

    Nul n’ignorait ce qu’était un Guetteur. Les parents tapotaient la pierre pour effrayer les enfants turbulents. Et si cela ne suffisait pas, le nid entier répondait par le même geste jusqu’à ce que chacun entende ses centaines de pattes imaginaires fondre sur eux. Ce démon maintenant bien réel leur bloquait toute retraite jusqu’au nid.

Lyra s’ébranla la première. Elle agrippa son frère et fuit à l’opposé du funeste son. Après avoir traversé une galerie étroite, ils débouchèrent sur une petite caverne faiblement éclairée par des champignons luminescents. Le Guetteur sur les talons, ils ne laissèrent pas le temps à leurs yeux de s’accommoder et continuèrent leur course en se fiant à leur instinct.

Le clapotis devint grondement.

Lyra trouva enfin un autre passage en haut d’une corniche. Elle jeta son couteau en contrebas pour perturber le monstre aveugle et s’engouffra dans le passage avec son frère. Les deux adelphes parcoururent les grottes et les failles sans reprendre une seule fois leur souffle. Même si la ruse avait retenu la bête, elle les suivait toujours. Et se rapprochait.

Ils fuyaient par des chemins inconnus de leur nid où chaque pas pouvait être le dernier. Le Guetteur n’était pas le seul monstre à hanter le monde souterrain.

    Une lumière perçait au bout d’un boyau étroit. Une lumière plus chaude que celle des champignons, plus claire que celle des cristaux. Ils n’en avaient jamais vu de pareil. Le démon funeste les talonnait.

Lyra n’hésita pas et fonça droit devant. La lumière envahit le monde et brûla ses yeux. Elle les protégea d’un bras tout en tâtonnant de l’autre pour suivre la paroi.

— Lyra ! cria son frère derrière elle.

Une détonation couvrit sa voix. Lyra chercha son frère autour d’elle. Sa vision n’était plus qu’un vaste mélange de taches mouvantes et scintillantes.

    Le grondement du Guetteur surgit, immédiatement dépassé par de nouvelles détonations frappant autour d’elle. Mue par une peur viscérale, elle se détacha de la pierre et se précipita en avant. Elle pria les dieux pour que son frère soit juste derrière elle.

    Ses pieds agiles mais épuisés foulèrent une terre granuleuse, puis elle rencontra une surface molle comme de la mousse. Le sifflement des explosions s’adoucit et des sons étranges atteignirent ses oreilles. Des sons inconnus, vivants et chantants.

Une masse plus sombre l’attira. Un vent frais balaya la sueur de son front. La douleur de sa jambe se réveilla en même temps que son souffle s’apaisa. Le guetteur ne semblait pas l’avoir suivi, mais l’entendrait-elle se mouvoir sur cette curieuse mousse ?

— Ka-ën, tenta-t-elle d’articuler.

Elle plissa les yeux, mais ne le trouva pas. Elle ne vit que des colonnes rugueuses entourées d’un brouillard verdâtre. Lyra rassembla son courage et fit demi-tour. Des cris aigus éclataient d’un côté, puis d’un autre, comme s’ils se répondaient, ses pas crissaient malgré ses précautions.

    Dans la panique, elle n’avait pas fait attention, les colonnes se ressemblaient toutes. Elle était perdue dans cet endroit surréaliste. Son cœur ralentit encore. La peur retombait, remplacée par la solitude et la fatigue. Elle s’appuya sur la surface rugueuse et tiède d’une colonne pour éviter de s’écrouler. Et toujours cette lumière aveuglante qui brûlait ses yeux. Que devait-elle faire ?

    Lyra ne se souvenait pas s’être endormie. Pourtant, elle se réveillait. Tous ses muscles la lançaient comme si un troupeau de Morveks l’avait piétiné. La lumière était moins agressive. Elle pouvait la voir par une petite ouverture rectangulaire perçant l’étrange grotte lisse où elle se trouvait. Sa main chercha son couteau pour se rassurer, mais il n’était plus à sa ceinture. Elle se redressa et sentit un contact froid sur sa jambe. Sa blessure avait été nettoyée et une pâte verte dégageait une vapeur rafraîchissante sur sa peau engourdie.

L’immense plafond lumineux avait pris une teinte grise plus supportable. Un parterre coloré et touffu de plantes inconnues s’étalait devant cette grotte. Une grande silhouette vaguement humaine prélevait des herbes dans un panier. Ses doigts étaient roses comme gorgées de sang. Était-ce une nouvelle sorte de monstre qui se préparait à la dévorer en la cuisinant ?

    Eloriane se redressa et étira son dos endolori. Il lui fallait une bonne tisane. Malheureusement, son stock de gingembre se vidait à vue d’œil. L’âge la rattrapait plus vite qu’elle ne l’aurait voulu, mais la retraite n’était pas encore d’actualité.

La pharmacienne capta un mouvement furtif à la fenêtre de son officine. Sa nouvelle patiente était réveillée.

Elle l’avait trouvé étendue sur l’herbe, brûlante de fièvre et inconsciente. La pauvre créature ne pesait pas plus lourd qu’une enfant et sa jambe suintait comme attaquée à l’acide. Si Eloriane n’était pas intervenue, le membre aurait fini rongé jusqu’à l’os.

C’était la première fois qu’un Gris parvenait à s’enfoncer si loin hors du monde souterrain sans se faire tuer par les Gardiens. Gris et monstre se faisaient abattre sans distinction à la sortie des tunnels qui ne cessaient d’apparaître comme une plaie du passé impossible à refermer. Celle-ci avait eu une chance incroyable.

    Avec une infinie précaution, Eloriane poussa la porte. La tête aussi basse que ses articulations lui permettaient, elle pénétra dans l’officine. La Grise tâtonnait nerveusement autour d’elle et jeta un coussin en direction de la porte. Elle peinait à garder ses paupières ouvertes. La faible lueur de l’aube était déjà trop intense pour ses yeux façonnés par l’obscurité. Ce n’est pas pour rien que les Gardiens les surnommaient parfois les Aveugles.

— Tout va bien, dit la pharmacienne en refermant la porte. Tu es en sécurité ici.

Elle descendit sur ses genoux pour paraître moins hostile devant la petite créature, puis glissa avec douceur un verre d’eau près de la jeune Grise effarouchée. Celle-ci, au contraire, se redressa de toute sa hauteur à peine plus haute que la pharmacienne et leva un menton provocateur. Elle agita ensuite ses doigts avec vigueur. Ses mains dansaient, claquaient, frappaient tandis que ses yeux passaient par plusieurs émotions.

— Est-ce ta façon de parler ? demanda Eloriane. Je ne comprends pas ce langage. Bois, tu en as besoin.

La Grise lorgna sur le verre, puis montra les dents. Alors, Eloriane le porta à sa bouche. Elle en but une gorgée avant de le replacer devant sa patiente.

— Tu vois, tu n’as rien à craindre. C’est juste de l’eau. Eau.

Elle mima comme elle le put ce qu’elle disait.

    L’hostilité de Lyra s’apaisa, pas sa méfiance. Elle renifla la boisson. Elle n’était pas aussi pure que l’eau des souterrains, mais aucun poison ne semblait la souiller. Elle prit une lampée, puis une seconde avant de boire goulûment. Sa gorge sèche accueillit avec délice le précieux liquide.

L’étrange femme rose souriait. Elle était grande mais vieille. La petite serpe à sa ceinture était rouillée, c’était une arme pitoyable. Finalement, elle ne semblait pas hostile. Peut-être qu’elle pourrait la guider jusqu’à son frère pour qu’ils puissent rentrer au nid et oublier tout ça.

— Un autre comme moi. Où ? signa-t-elle.

Malheureusement, la femme se contenta d’agiter la tête, un air désolé sur son visage ridé. Lyra grogna de frustration. Si seulement la lumière n’était pas si aveuglante en dehors de cet abri, elle partirait sans attendre pour le trouver.

    Lyra ne savait pas combien de battements s’étaient écoulés depuis leur séparation, mais c’était déjà trop long. Dès que la femme s’absentait, elle fouillait la grotte à la recherche d’une arme ou du moindre objet utile et, à la première occasion, elle s’enfuirait.

Enfin, un voile semblait couvrir l’éclat au-dehors. La lumière se teinta de rouge avant de se fragmenter en une multitude de points brillants sur un tissu d’ombre. Le moment était venu. Lyra se glissa au milieu des plantes parfumées.

— Attends ! l’interpella Eloriane.

Elle trotta à sa rencontre, une minuscule torche à la main qui exhalait l’huile.

— Où vas-tu ? Tu ne peux pas sortir comme ça, tu vas te faire capturer.

Lyra siffla entre ses dents.

— Plus de temps. Chercher mon frère, signa Lyra.

La pharmacienne fronça les sourcils en observant la Grise.

— Je ne comprends toujours pas. Tu veux rentrer chez toi ? Maison ?

Eloriane mima un toit et toucha son cœur. Lyra pencha la tête sur le côté, intriguée, puis secoua de la négative.

— Non. Frère. Disparu.

    Lyra voulait faire confiance à cette femme. Elle l’avait soignée et lui avait offert de l’eau. Même si sa sauveuse n’était pas humaine, elle n’avait pas ignoré la plus basique des politesses. Peut-être même qu’elle savait où était son frère. Alors, avec une patience qui lui demanda un effort incommensurable, Lyra lui parla un signe à la fois, guettant les réactions de sa sauveuse pour se faire comprendre.

    Eloriane était fascinée par la capacité de la Grise à raisonner et à s’adapter à elle. Ensemble, elles créèrent des gestes pour se comprendre, une langue unique née de leur différence. Bientôt, Eloriane comprit que sa nouvelle amie cherchait quelqu’un, un membre de sa famille ou un proche. Elle avait trouvé la surface par accident avec cette personne et qu’ils avaient été séparés alors qu’il était poursuivi par un danger.

Quand la Grise mentionna des explosions assourdissantes à sa sortie, Eloriane se crispa. La pharmacienne savait exactement ce qui s’était produit. Les Gardiens avaient ouvert le feu comme l’exigeait leur devoir de protecteurs de la surface. Ils avaient abattu le monstre et le compagnon de la Grise avait sans doute subi le même sort.

S’il avait été capturé vivant, son sort serait encore moins enviable. Pour les Gardiens, un animal suscitait plus de compassion qu’un Gris.

Lyra remarqua le trouble dans le regard de sa sauveuse. Celle-ci se ressaisit et força un sourire.

— Je peux trouver ton compagnon, dit-elle avant d’utiliser les signes pour se faire comprendre. — Où ? Où ? réagit aussitôt Lyra.

Lyra ne parvenait pas à comprendre la réponse d’Eloriane si ce n’était qu’elle devait attendre que la lumière revienne. La chasseuse aimait ni attendre ni la lumière.

    Eloriane tenait un mouchoir sur son nez en parcourant le sous-sol jusqu’à la cage du Gris. Il se terrait dans un coin sombre. Ses mains sales couvraient ses oreilles. Il répondit au son grinçant de la porte par un gémissement étouffé.

— Pauvre créature, soupira Eloriane. — Tu te soucies trop de ces monstres, lâcha le Gardien en refermant derrière elle. Ces choses ne sont plus humaines depuis longtemps. — Mais si vous le laissez comme ça, il mourra d’une infection en quelques jours et il ne vous aura servi à rien.

Le Gardien haussa les épaules.

— Il mourra de toute façon.

    Eloriane attendit que le Gardien quitte le sous-sol pour se pencher sur le Gris enchaîné au mur.

— Tu dois être Ka-hen, murmura Eloriane.

Il se figea et fixa Eloriane de ses grands yeux pâles. Elle signa le mot « ami », comme lui avait appris Lyra.

— Kaën, souffla-t-il. Comment… comment connaissez-vous…

Eloriane réprima un sursaut en entendant sa voix. Elle pensait que les Gris avaient tous perdu l’usage de la parole dans le monde inférieur, mais celui-ci s’exprimait en mots dans une langue inconnue.

— Ami, signa-t-elle.

Puis elle continua à lui parler tout en sachant qu’il ne comprendrait pas la plupart de ses propos.

— J’ai recueilli Lyra. Elle est en sécurité pour le moment, mais elle te cherche. Si tu restes ici, tu vas servir d’appât à monstres jusqu’à la fin de tes jours qui ne seront pas nombreux.

Elle lui tendit un verre d’eau en prenant soin de lui démontrer qu’il était sans danger, comme elle l’avait fait avec Lyra.

— Ton amie ne tient pas en place. Si elle sait où tu te trouves, je sens qu’elle se jettera dans la gueule du loup pour te sauver. Vous n’êtes peut-être plus tout à fait humain. Plus comme nous en tout cas. Mais ce n’est pas une raison pour vous traiter ainsi. Vous n’êtes pas plus dangereux que nous.

Le Gris se contenta de tremper ses lèvres tremblantes dans l’eau sans lâcher Eloriane des yeux, comme si elle pouvait l’attaquer à tout moment. La pharmacienne soupira.

— Je sauve des vies, je ne les condamne pas. Alors, je vais vous aider tous les deux à rentrer chez vous.

Elle signa un autre geste appris par Lyra, quelque chose qui devait signifier « foyer ».

    Le Gris aspira bruyamment. Son tremblement s’apaisa.

— Je veux juste rentrer au nid avec ma sœur. Aidez-nous.

Eloriane sourit avec chaleur. Si elle n’avait pas compris ses mots, elle en avait saisi l’essence.

    Une nouvelle fois, le plafond éclatant avait brillé puis décliné. La femme ne semblait pas surprise, comme si ce changement était ordinaire. Dans l’obscurité illuminée par la multitude au-dessus de leur tête, la femme se déplaçait plus difficilement, comme un nouveau-né vulnérable. Était-elle aveugle sans lumière ? s’étonna Lyra.

    Il fallut de nombreux battements pour atteindre l’endroit qu’Eloriane voulait lui montrer. Son frère se trouvait là. Elle le sentait. Pourtant, une autre odeur flottait dans l’air, une odeur qui donna la nausée à Lyra. C’était celle de la mort.

— Je vais faire mon possible pour détourner l’attention des Gardiens.

Elle lui remit deux tiges de métal. Toutes deux possédaient une extrémité crantée et un anneau à l’autre.

— Cette clé est pour les chaînes et celle-là pour la porte. Vous devrez faire vite et revenir vous cacher ici. Ensuite, je vous guiderai chez vous.

Lyra reconnut certains mots qu’Eloriane avait déjà prononcés. Elle devait lui rappeler le plan qu’elles avaient imaginé ensemble. Ce n’était pas nécessaire. Lyra savait ce qu’elle avait à faire. L’ombre était son monde, elle était la meilleure chasseuse de son nid. Elle sauverait son frère et rentrerait chez elle.

    C’était une structure grossière de terre et de pierre. Plusieurs tours flanquaient l’un de ses côtés, dominant une vaste zone vide de ces colonnes végétales qu’Eloriane nommait arbres. Lyra se glissa avec aisance contre le mur que lui indiqua sa sauveuse. Celle-ci s’avança sur le chemin sans discrétion.

— Qui va là ? — C’est juste moi. Eloriane.

Le Gardien leva une boîte lumineuse pour l’examiner.

— Qu’est-ce que tu fais ici à cette heure ? Tu t’es déjà occupé de nos camarades blessés. — C’est exact, mais je crois bien avoir égaré l’un de mes flacons et je ne voudrais que quelqu’un l’utilise malencontreusement. — Tu nous prends pour des enfants ? — Non, pas du tout. Mais je préfère rester prudente. Pourrais-tu m’accompagner jusqu’à l’infirmerie ? Je suis tombée à court d’huile sur la route. Il ne manquerait plus que je trébuche encore !

Le gardien grogna, puis tendit son bras.

— Faisons vite alors. — Merci. Mais n’oublie pas que je ne suis plus toute jeune.

    La voix d’Eloriane s’éloigna. Sans bruit, Lyra se glissa par la porte libérée à présent sans surveillance. Un escalier s’enfonçait dans le sol. La lumière, un peu trop forte au goût de Lyra, inondait un autre couloir. Elle fronça le nez. Encore cette odeur de mort.

Elle hâta son pas et découvrit une longue grille de métal. Son cœur cessa de battre un bref instant. Une carcasse de Guetteur gisait, éventrée et mutilée, sur la pierre couverte de fluide. Plus loin, c’était trois Morveks qui étaient suspendus à des crochets, leur chair rongée par l’acide dégoulinant jusqu’au sol.

— Lyra ! chuchota une voix familière.

Elle se précipita au fond du corridor.

— Kaën, signa-t-elle en se jetant contre les barreaux. — Tu es vraiment vivante. La géante n’avait pas menti alors. — Silence. Je vais ouvrir.

Elle sortit la première clé que lui avait remise Eloriane et chercha la serrure autour d’elle. Mais à quoi pouvait ressembler une serrure ? Les siens n’avaient jamais eu besoin de « clé » ou de « serrure ».

— Je crois que ça va ici, suggéra Kaën. Les géants ont la même chose que toi. Ils le mettent dans ce trou et tournent le poignet, comme ça.

Lyra suivit ses conseils et, après plusieurs tentatives peu discrètes, un clic sonore libéra la porte. Elle fit de même avec les chaînes et aida son frère à reprendre pied. Il vacilla, les jambes faibles, mais ils n’avaient pas le choix, Kaën devrait puiser dans ses dernières forces pour fuir avec elle.

    Eloriane avait occupé le Gardien aussi longtemps qu’elle avait pu. Si elle voulait aider d’autres Gris, elle devait préserver la confiance des Gardiens coûte que coûte.

— J’étais certaine de l’avoir laissé là ! s’exclama-t-elle. Mais où peut bien être ce flacon ? — Je n’en sais rien, Eloriane, répondit le Gardien avec lassitude. Tu dois rentrer chez toi. La zone n’est pas sûre la nuit. — Oh, mais je suis en sécurité avec vous. — Justement, nous avons déjà bien assez de soucis comme ça. Allez, filez.

Eloriane pria les dieux pour que la disparition du compagnon de Lyra ne soit pas découverte avant le lendemain. Ça pourrait même prendre plusieurs jours s’ils l’oublient comme souvent. Pour une fois, leur manque de considération serait un avantage.

    La pharmacienne retrouva l’endroit où elle avait donné rendez-vous aux deux Gris. Elle poussa un soupir de soulagement en distinguant les deux petites silhouettes dissimulées derrière un arbre. Lyra tendait à Kaën un biscuit aux légumes séchés qu’Eloriane lui avait fait goûter. Son compagnon n’était pas aussi enthousiaste.

— Je suis contente que vous soyez sains et saufs tous les deux. Mais ce n’est pas terminé. Les fractures sont surveillées. Vous devez être rapide pour échapper à leur vigilance et retourner chez vous.

    L’air sérieux d’Eloriane ne parvint pas à assombrir la joie de ces retrouvailles. Si Kaën était mort, jamais Lyra n’aurait pu faire face aux anciens toute seule. Plutôt se jeter dans les crocs d’un Guetteur !

— On va vraiment rentrer ? s’inquiéta Kaën. Est-ce seulement possible ? C’était un cauchemar là-bas. Ces géants sont partout ! Ils ne pensent qu’à tuer. — Tous les géants ne sont pas comme ça. Elle va nous aider à rentrer. — On ne peut pas lui faire confiance. — Elle m’a sauvé. Elle m’a offert de l’eau. Elle m’a aidé à te retrouver.

Kaën hésita. Il n’osait pas croiser le regard d’Eloriane, bien qu’elle soit trop aveuglée par l’obscurité pour s’en rendre compte.

— On doit rentrer au nid, insista Lyra.

    Kaën se laissa convaincre et Eloriane les guida dans la forêt. L’atmosphère réveilla des sensations familières à Lyra. Bien qu’elle ne reconnaisse pas cet endroit, ses pieds et ses mains se souvenaient. Les arbres formaient une masse percée de multiples passages entre leur tronc. La mousse longue et drue comme des poils qu’Eloriane appelait « herbe » se raréfiait pour laisser la place à la pierre et à la poussière.

Devant elle, des rochers de granite côtoyaient sans aucune logique le basalte, le schiste et bien d’autres minéraux différents, comme si les dieux de la terre avaient secoué le monde.

— C’est ici que la bataille entre les êtres du Ciel et les dieux a eu lieu, murmura Kaën en écho à ses pensées. J’en suis certain. Kaën contemplait la cuvette torturée qui s’étendait à perte de vue, une main sur son cœur. Lyra l’imita, saisit d’une soudaine admiration pour ses ancêtres qui avaient vécu ce moment terrible. Ils avaient appris à voir et à écouter le monde. Ils avaient fait d’eux ce qu’ils étaient devenus, le fier peuple de la terre.

    Eloriane observait les Gris se recueillir dans un mélange de tendresse et de culpabilité. Ses ancêtres avaient condamné les leurs à mourir dans les griffes des monstres. Ils avaient refermé la grande faille sur eux pour se protéger. Contre toute attente, ces gens avaient survécu pour devenir les Gris. Ils n’étaient plus humains, plus comme nous, altérés par la pierre, la lumière si belle du soleil les agressait tel un poison. Mais était-ce une si mauvaise chose ?

    L’heure grise approchait. Bientôt, les Gardiens de la nuit seraient relevés par les Gardiens du jour.

— Tenez-vous prêt.

Les Gris hochèrent la tête, les yeux rivés sur la minuscule tâche de vide un peu plus loin. C’était la dernière brèche à s’être ouverte sur le ciel et la plus proche de la frontière de zone interdite. S’ils se hâtaient, ils retrouveraient le sous-sol du monde en quelques minutes. Et alors, leur sort serait entre leurs mains. Ils retrouveraient un monde hostile peuplé de monstres, mais ce monde était le leur.

    Le regard d’Eloriane se projeta au loin sur les tours des Gardiens, prêts à abattre toute vie sur ces terres. Et si nous étions tous des monstres ?

A.K.

Le Cinquième Dieu - Extrait du Chapitre 2

    J’ajustai d’un demi-point le calibrage du condensateur. Nous avions joué cette expérience une dizaine de fois, nous connaissions déjà les résultats, mais tout devait être parfait.

— C’est prêt de mon côté, annonça Corvin.

— Commençons le protocole.

Je reculai de plusieurs pas pour franchir le cercle peint en rouge sur le sol de mon laboratoire. Mon associé s’en assura avant de retourner le sablier.

Pendant la longue minute qui suivit, aucun de nous ne dit mot. C’était devenu une habitude, presque un rituel avant chacune de nos expériences. Durant ce temps suspendu, nous ne pouvions rien faire d’autre qu’attendre. Les cristaux s’allumèrent les uns après les autres, puis le dernier grain s’écoula.

Mon associé leva sa main tachée par les années et entama une incantation. Je repoussais spontanément mes boucles rousses derrière les oreilles pour occuper mes doigts impatients. Malgré l’habitude, j’avais toujours ce pincement au cœur quand j’étais contrainte à demeurer en retrait.

— Ça démarre, annonça le vieux mage.

Les capteurs s’activèrent. Les aiguilles sautillèrent. Le papier entama sa course. J’oubliai sur-le-champ ma frustration et tendis le cou. Corvin notait scrupuleusement l’évolution des autres appareils. Il souriait. Ce simple fait m’emplit d’excitation, car mon associé n’était pas quelqu’un d’expressif.

— On tient vraiment quelque chose, marmonna-t-il.

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L'Oiseau de Mort - Extrait du Chapitre 1

    Fuir. Les pieds meurtris et le ventre vide, j’étais perdue à deux pas du désert. La veille encore, le plus grand de mes soucis était d’échapper à ces fiançailles absurdes. Puis une malédiction inexplicable s’était abattue sur moi pour qu’en l’espace d’une seule journée mon monde se transforme en cauchemar impitoyable. Mes parents étaient morts, ma maison réduite en cendre et mes sens assaillis par d’effrayantes apparitions, tout cela sans que j’en comprenne la raison ou même la cause.

    Je n’étais alors qu’une enfant et ma détermination à vivre ne faisait pas le poids face à mon cœur hurlant de détresse. L’eau si précieuse déferla sur mes joues. Recroquevillée sur le sol sec et brûlant, une peine bien trop grande m’envahit emplissant mes poumons de cris et me noyant dans un désespoir insupportable. Je voulais que cela cesse, revoir ma mère et mon père en m’éveillant enfin de ce monde qui ne pouvait être réel. Ou bien mourir.

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Bercé d'illusions

    Déconnexion en cours…

    À chaque fois qu’il retirait son masque, une intense nausée le tenait collé à son siège pendant plusieurs minutes. Samuel s’étira, respira profondément, mais elle était toujours là. Il but dans le verre d’eau qui était encore à côté de lui, le liquide qui datait de plusieurs heures ne fit que renforcer ses haut-le-cœur. Quelques minutes de plus et il se sentit suffisamment mieux pour se lever. Il replaça ses petites lunettes rondes sur son nez et enfila rapidement un t-shirt.

Son frigo vide lui rappela qu’il n’était pas sorti depuis une bonne semaine, au moins. Il soupira et dénia glisser dans un pantalon et lacer ses chaussures. Il gémit à chaque mouvement sous le poids de son propre corps, chaque mouvement semblait lui demander un effort immense. Mais le plus dur allait venir.

    Le cerveau est une chose bien malléable, et pourtant, il est bien difficile de lui faire accepter le changement en passant d’un monde à l’autre. Il aura fallu des décennies de recherches pour créer le casque parfait, celui qui permet aux êtres humains de se plonger totalement dans les univers virtuels et de leurrer leur esprit. À présent, il fallait réapprendre à croire en la réalité. À votre avis, quelles réalités préfèrent-ils ?

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Têtes brûlées

    — C’est l’idée la plus stupide que j’ai jamais entendue.

Samuel observait Lisa, les bras croisés. Cette dernière avait la tête sous le châssis de la voiture. On entendait cliqueter son outil.

— Ce que tu peux être rabat-joie ! Mais tu verras, tu me remercieras.

— Je te remercierais d’être dans un fauteuil jusqu’à la fin de mes jours, au mieux !

Elle se fit coulisser pour afficher un air vexé. Elle se redressa d’un bond, envoya son outil avec force sur son plateau et attrapa un chiffon pour se frictionner les mains en lui tournant le dos.

— C’est ça, boude. C’est pas toi qui le conduiras ce machin, ça se voit !

À son tour, il pivota et se dirigea vers la sortie de l’atelier.

— Si tu voulais pas prendre de risque, fallait pas t’inscrire à la course. Et puis, si tu ne veux pas le faire, je le ferais.

Samuel pouffa.

— T’es mécano, pas pilote.

— D’abord, j’suis ingénieure, banane. Ce machin, je le connais mieux que toi. Et puis c’est toi qui es venu me chercher en premier lieu. Alors si ma solution te convient pas, j’me casse.

— Je t’ai demandé d’améliorer ma vitesse, pas d’en faire une fusée !<!–more->

— Et bien, c’est fait. Après, j’t’oblige pas à t’en servir. Maintenant, ciao.

Elle lui passa devant avec colère et le laissa en plan.

    Samuel et Lisa se connaissaient depuis tout petit. Ils ne s’étaient jamais tout à fait quittés malgré leur caractère très différent, à l’exception de leur entêtement. Mais ils finissaient toujours par trouver un compromis, jusqu’à cette fois. Quand Lisa reçut un coup de téléphone en pleine nuit, elle commença par enguirlander sévèrement son interlocuteur. Quand celui-ci put en placer une, elle reconnut la voix de Grégoire, le colloc de Samuel.

— Lisa ! S’il te plait, écoute-moi. C’est Samuel. Il y a eu un accident.

— Hein ? Comment ça ? Est-ce qu’il…

Le mot ne voulut pas sortir de la gorge de Lisa qui imaginait déjà les pires scénarios.

— Il est à l’hôpital. Il est hors de danger, mais… il ne pourra plus piloter. Et beaucoup d’autres choses.

Le savoir en vie enleva un énorme poids sur le cœur de Lisa, mais son inquiétude ne se fit pas moins grande.

— Mais qu’est-ce qu’il s’est passé, bordel ?!

Grégoire ne répondit pas tout de suite, torturant les nerfs de Lisa.

— Il a passé l’après-midi à se plaindre de ton bricolage sur son bolide. Quand je lui ai suggéré de s’en débarrasser si ça lui plaisait pas, il a filé au garage.

— Tu lui as dit quoi ?! Espèce d’abrutis ! Qu’est-ce que tu lui as mis dans le crâne ?

— J’pensais pas qu’il allait le faire, moi !

Lisa n’eut pas besoin d’en savoir plus, elle savait très bien ce qu’il s’était passé. Le turbo qu’elle avait installé était doté d’une pile à manier avec précaution quand il était au repos. Samuel avait de la chance d’être en vie.

— Envoie-moi l’adresse de l’hôpital, dit-elle avec froideur.

Cet idiot lui a donné l’idée, mais c’est moi qui lui ai installé.

    La gorge serrée, elle pressa la main de Samuel. C’était l’une des rares parties de son corps intact. Son bras droit avait été arraché tout près de l’épaule et sa jambe droite amputées au-dessus du genou. Une grande partie de sa peau brûlée était couverte de pansements et seul son œil gauche était visible sous l’amoncellement de tubes. Il s’était réveillé au bout de deux jours et n’avait aucun souvenir de l’accident et des quelques jours qui l’ont précédé.

— Hello Samuel, c’est moi. Tu sais, l’idiote qui t’a mis dans cet état.

Le sourire de Lisa n’atteignit pas ses yeux. Elle inspira profondément pour ravaler les larmes qui tentaient de pointer le bout de leur goutte. Ne pouvant parler, il répondit en clignant des yeux.

— Bref, j’ai des nouvelles de la docteure. Elle est optimiste. Tu devrais sortir dans quatre jours, juste à temps pour voir la course de cette année. C’est pas parce que tu peux pas participer cette fois que tu n’peux pas prendre ta dose de tôles froissées !

Samuel ferma son œil unique et une larme solitaire coula sur ses pansements. Lisa se rapprocha du lit en frottant vigoureusement la main de Samuel de son pouce.

— Hé, tout va s’arranger. Super Lisa est là, hein ? J’ai une autre solution, j’te l’dis tout de suite, y’a rien de garanti. Bon, j’ai une amie, Ziya, elle est dans la recherche en bio-ingénierie. J’ai réussi à la joindre et je luis ai parlé de ton cas. Avec son équipe, elle a mis au point une nouvelle méthode de reconstruction qui pourrait te faire oublier tout ça. Quand je dis tout, c’est tout ! Jusqu’au dernier orteil ! Mais je te l’ai dit, il n’y a rien de garanti et il y a un petit détail qui pose problème. Ça coûte extrêmement cher. Deux millions de crédits.

Samuel cligna frénétiquement des yeux à l’annonce de ce prix exorbitant. C’était le premier prix de la course de Dibene, mais c’était surtout suffisant pour vivre une vie entière sans se soucier du lendemain.

— Mais t’inquiètes pas. Tu me connais, j’ai la solution pour ça aussi. J’ai réussi à sauver ton bolide, avec lui, je vais participer à la course de Dibene. Et j’vais le gagner ce prix, mon pote.

Samuel fixait Lisa, l’œil rond. Elle laissa échapper quelques larmes.

— Tu verras, je vais te montrer ce que peut faire une mécano comme moi, lança-t-elle dans une vaine tentative de cacher le sanglot qui se glissait dans sa gorge.

— T’es complètement folle !

Quand il fut enfin libéré de ses tubes, Samuel ne manqua pas de rattraper le temps perdu.

— Je ne peux pas te laisser participer, tu vas te faire tuer. C’est pas une petite course pépère, tu joues ta vie !

— Je le sais ! Et tu as déjà joué la tienne à cause de moi. Tu crois vraiment que je vais rester les bras croisés ?

La conviction de Lisa n’avait fait que se renforcer en découvrant le nouveau visage de son ami. Son nez raccourci, sa peau craquelée et rouge, son oreille rabougrie et son œil droit vide. Il soupira.

— Quoi que j’dise, tu feras ce que tu veux, hein ? C’est pas pour rien que t’es devenu ingénieur alors que moi…

— Arrête de réfléchir, ça ne va pas à ton teint. Laisse tata Lisa gérer ça pour l’instant, tu pourras te poser des questions existentielles après. D’accord ?

Il soupira un peu plus fort, autant épuisé par les soins que par dépit.

— Tu peux au moins me promettre d’y penser, jusqu’au dernier moment ? Je ne t’en voudrais pas si tu abandonnais à la dernière minute. Vraiment pas.

— J’crois que j’peux faire ça.

    Même si elle savait ce qui devait être fait, à chaque instant elle savait aussi qu’elle le regretterait. Lisa avait installé un nouveau turbo sur le bolide de Samuel et se préparait à installer son arme secrète. C’était un projet expérimental obtenu par son amie Déborah, spécialiste en physique quantique appliquée.

— Si tu veux que ça s’enclenche sans perte d’information, l’alimentation doit être ultrastable, commença Déborah. Et il faut une montée en puissance instantanée.

— Qu’est-ce que tu penses d’un déclencheur neuronal couplé à une batterie plasma ?

— En temps normal, je t’aurais dit qu’il faudrait faire différents essais, suivant une centaine de critères.

— Il ne reste que deux jours, Deb.

— Ça pourrait le faire.

Déborah était assise sur une chaise à roulette, les bras croisés sur le dossier. Elle suivait les gestes assurés de Lisa. Elle avait essayé à son tour de dissuader l’ingénieure, mais convaincu de la vanité de la démarche, elle choisit de lui apporter son aide.

— Tu es sûre que tu n’auras pas de problème si on découvre que ce prototype a disparu ? demanda Lisa.

— Inquiète-toi d’abord pour toi. Je te l’ai dit, on a tout juste testé le TéCPI sur des cafards. La portée est encore approximative et le diamètre du tunnel variable. Tu prends plus de risques que moi.

— Mais il fonctionne ?

— Oui, mais on ne sait pas son effet sur un organisme aussi complexe que le nôtre. Ou même sur le cerveau.

Lisa glissa sous le châssis pour faire glisser le câble d’alimentation.

— Rappelle-moi le principe, s’il te plait ?

Déborah souffla de lassitude.

— En terme simple, au contraire de la téléportation classique, le TéCPI n’accélère pas la vitesse de l’objet à transporter, il accélère le temps en formant un tunnel, récita-t-elle. L’objet semble téléporté instantanément alors qu’il n’a fait que voyager dans un temps plus rapide.

— Je ne vois donc pas ce que ce voyage pourrait me faire. Ça me parait moins risqué que d’aller sur Mars ou Europe avec un téléporteur à conversion !

— Oui, c’est le but. Mais on ne pourra pas aller aussi loin. Tu imagines devenir instantanément vieux aux yeux des autres ?

Lisa s’extirpa avec un sourire en coin.

— Mais on pourrait rallonger le weekend comme ça ! Ou faire des fours à cuisson instantanée !

Déborah ouvrit la bouche, mais resta sans voix.

— Tu sais que tu n’as pas que des mauvaises idées, toi !

Lisa sourit, mais il s’estompa devant le souvenir de Samuel et la culpabilité qui l’accompagnait.

C’était le grand jour pour Samuel, le docteur venait de confirmer son autorisation de sortie. Lisa était là évidemment, si loin de ses parents, il n’avait qu’elle.

— Alors ? Prêt à me donner les derniers conseils de professionnel ? demanda-t-elle en souriant faiblement.

— Je me suis entraîné toute l’année pour cette course. Si tu la finis en vie, je serais satisfait.

Samuel ne souriait pas. Assis avec raideur dans son fauteuil à lévitation, il évitait le regard de Lisa tout autant que les vitres susceptibles de lui renvoyer son image.

— Tu as donc intérêt à t’y mettre si tu ne veux pas que je fasse une bête erreur de débutant.

— Voyons voir, d’abord, ce que tu as fait de mon bébé.

Dans l’atelier, Samuel examina brièvement le bolide. Il n’avait pas envie de rester devant sa machine, Lisa voyait bien la douleur sur son visage. Quand ils montèrent finalement sur la terrasse de l’atelier pour discuter, il s’avéra peu bavard. Lisa savait qu’elle aurait besoin de ses conseils, mais il avait encore plus besoin de penser à autre chose.

— Ma tête va exploser ! On a bien mérité une pause. Ça te dit un petit holo pour se détendre ?

— Hmm, se contenta-t-il de répondre.

— Et si je te dis que je te laisse choisir un de tes films et que tu auras le droit de manger de la pizza sur mon canapé ?

Un sourire parvint à se frayer un chemin au coin de ses lèvres.

— En fait, je me suis pas réveillé c’est ça ?

Si Lisa mourait dans cette course, elle serait heureuse de l’avoir vu sourire encore une fois.

    Lisa passa les deux jours suivants à s’entraîner sur la piste virtuelle. Elle n’était peut-être pas la meilleure pilote, mais elle se défendait bien et compensait son manque d’expérience par vitesse de réaction impressionnante. Après tout, elle avait conçu des dizaines d’aéronefs orbitaux et suborbitaux qu’elle avait personnellement testés. La voiture de Samuel n’était qu’un autre véhicule, avec une dimension en moins.

Son bracelet vibra à son poignet, brisant sa concentration et manquant de la faire percuter un mur virtuel. Elle coupa le simulateur et la voiture descendit en douceur sur ses patins. Elle vérifia son bracelet et lut le message que lui avait envoyé sa mère. Celle-ci attendait de ses nouvelles. Lisa ne l’avait pas prévenu pour Samuel et encore moins de son intention de participer à une courte potentiellement mortelle. Elle soupira en laissant retomber son bras.

— De toute façon, il est temps de rentrer se coucher.

Son départ pour Dibene était prévu pour le lendemain, mais son cerveau tournait à plein régime. Elle aurait besoin d’un cachet pour arriver à s’endormir.

    Samuel la suivait en baissant les yeux pour ne pas subir les regards curieux. Déborah était là aussi, elle ne voulait rien manquer de la performance du TéCPI et de Lisa. La jeune ingénieure était parfaitement calme en apparence, mais elle bouillonnait à l’intérieur. L’ambiance dans le complexe de Dibene était étourdissante. Ils passèrent devant les longues files d’attente pour le Grand Stade et suivirent les indications jusqu’aux salles privées. Les proches des participants avaient accès à des versions plus petites du Grand Stade qui leur étaient réservées. Elle était rarement utilisée, sauf pour les pilotes les plus fameux. Lisa jeta un œil à l’intérieur de l’une d’elles, tout juste quelques personnes étaient installées devant l’un des multiples écrans holo.

— Je m’attendais à plus de monde, s’étonna Déborah.

— C’est toujours comme ça, d’après ce qu’on m’a dit, répondit Samuel qui se dirigea déjà vers une petite alcôve en retrait.

Rassurée de savoir ses amis confortablement installés, elle les embrassa avant de rejoindre le garage où l’attendait son engin.

Le garage était en réalité un simple hangar où des dizaines de véhicules stationnaient sur des emplacements délimités par de larges bandes jaunes. Elle étudia rapidement ses concurrents et avait déjà repéré quelques sérieux adversaires, tout de moins leurs matériels, tout en imaginant des stratégies pour les contrer. Elle s’affaira à son tour aux derniers réglages de son bolide. Elle avait préparé en hâte une checklist et vérifiait un à un les paramètres. Sans surprise, tout était au vert et elle put se préparer mentalement à jouer la course de sa vie. Littéralement.

    Une fois sur la ligne de départ, les cris de la foule retransmis par les haut-parleurs dopèrent son niveau d’adrénaline déjà élevé. Quand le décompte fut affiché, Lisa hésita. Elle était ingénieur, pas pilote. Mais qu’est-ce qu’elle faisait là ? Elle allait se tuer. Et le départ fut annoncé par un puissant son de corne. Ses doutes s’envolèrent en même que ses adversaires. S’ils ne dépassaient les quelques mètres réglementaires — l’une des rares règles de cette course mortelle —, on pouvait aisément y voir un immense essaim de métal décollant aux sons de centaines d’explosions. Lisa fut rapidement distancée par le peloton de tête. Le terrain presque plat au départ, devint de plus en plus chaotique. Des tunnels firent leur apparition et certains coureurs s’y engouffrèrent, parfois pour ressortir plus loin et d’autres fois brutalement arrêté par un cul-de-sac. Lisa avait anticipé cela avec un puissant sonar lui dévoilant les sous-sols du terrain. Elle se fit quelques frayeurs, mais devenait plus assurée à chaque minute tout en gagnant des places. Arrivée à mi-parcours, elle avait laissé derrière elle le gros du peloton et talonnait un étroit véhicule qui zigzaguait sans peine au milieu des violents geysers tout en l’empêchant de passer. Elle réfléchit un bref instant avant de se glisser sur le flanc de son adversaire. La route se resserrait en un étroit goulot et un large geyser le traversait. Ils ne pourraient pas l’éviter tous les deux. Lisa réduit la distance entre eux et leurs coques s’entrechoquèrent. Elle insista encore plus, plaçant son adversaire sur la trajectoire du geyser. Le goulot approchant, il réagit en braquant brutalement contre le bolide de Lisa qui ne bougea pas d’un pouce, contrairement à la légère fusée qui fut propulsée contre la falaise. Sans se retourner, Lisa fila à l’aide de son turbo.

    Son dernier opposant avant la première place était coriace, il semblait anticiper toutes ses tactiques. Lisa ne put trouver aucune faille dans sa défense. En vue de la ligne d’arrivée, elle se résolut à utiliser sa botte secrète. Pour Samuel. Alors que son adversaire n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres de la victoire, elle abaissa la manette du TéCPI. Immédiatement, une puissante lumière l’éblouit suivi d’un puissant choc. Elle perdit la notion de haut et de bas, jusqu’à ce qu’une violente douleur à la tête ne ravive ses sens. Elle retira son casque qui semblait lui presser le crâne et parvint à se redresser. Le bolide semblait avoir percuté un mur invisible. Le nez était miette jusqu’aux derniers centimètres avant la cabine de pilotage. Le reste paraissait étrangement intact. Les moteurs fonctionnaient encore, faisant tanguer le cockpit au point de donner la nausée à Lisa. Elle coupa l’alimentation des réacteurs et regarda autour d’elle. Elle hoqueta de surprise en voyant son adversaire une dizaine de mètres en arrière. Levant les mains pour se protéger, elle réalisa l’inutilité de son geste. Le véhicule était parfaitement immobile. Tout comme le reste du monde, du moins de ce que Lisa pouvait en voir. C’était l’effet du TéCPI. Elle en était persuadée, tout comme elle était persuadée que quelque chose avait mal tourné. Il n’aurait dû s’activer que quelques secondes. Elle descendit avec précaution pour vérifier le boitier. Éteint. La panique se fit une place au coin de sa tête, mais elle réussit à l’ignorer.

— Bon, s’il est éteint et que le faisceau est encore actif, ça veut dire que je vais devoir attendre qu’il se dissipe tout seul. N’est-ce pas, Deb ?

Évidemment, personne ne lui répondit. Elle baissa les yeux et réalisa qu’elle avait franchi la ligne d’arrivée. Si elle sortait de là, elle aurait gagné la prime et Samuel aurait son opération. Pourtant, son angoisse l’empêcha de savourer cette victoire. Attendre, c’est tout ce qu’elle pouvait faire. Malgré ses connaissances, elle était impuissante. Les minutes passèrent, une éternité. La curiosité et l’ennui poussèrent Lisa à chercher les limites du faisceau. Elle s’approcha de l’avant de son bolide en présentant la paume de sa main devant elle.

— Si j’en crois les dommages sur la coque, la limite ne devrait pas être.. !

L’air lui opposa une certaine résistance qui s’accompagna d’un léger picotement. La sensation se fit de plus en plus forte avant d’être douloureuse. Lisa recula vivement en tenant son poignet. Elle baissa les yeux sur sa main qui était devenue rouge et couverte de cloques.

— On dirait une irradiation… Oh, merde. J’espère…

Même parfaitement seule, elle ne put le dire à haute voix. Si le faisceau se dissipait progressivement, elle risquait de griller, brûlée par l’énergie emmagasinée. Elle recula pour se placer au centre du faisceau. Et une nouvelle pensée vint achever le peu d’optimisme qu’il pouvait lui rester. Quand bien même le faisceau ne s’étrécirait pas, d’ici quelques heures, elle suffoquerait. Elle chercha du réconfort en décortiquant une à une les informations techniques que lui avait fournies Déborah. Elle étudia le problème sous différents angles, déduit la forme du faisceau en lançant du sable, calcula son volume pour déduire le temps exact d’oxygène. Mais quand bien même elle aurait émis de nouvelles hypothèses sur le fonctionnement même du temps, elle était toujours coincée. Seule. La situation n’avait pas plus évolué que les molécules en dehors du faisceau.

    La peur gagna totalement Lisa. Elle pensa à Samuel, à ses parents, à sa vie amoureuse inexistante, à sa vie personnelle qui se résumait à son travail. Sa vie avait-elle valu le coup d’être vécu ? Avait-elle seulement vécu avant aujourd’hui ? Elle qui se targuait de tout savoir sur le monde se révéla incapable de comprendre la vie elle-même. Et dire qu’elle n’était jamais entrée dans le café en bas de chez elle, alors qu’elle voulait y aller un jour pour tester leurs délicieuses meringues. Mais pourquoi pensait-elle à cela maintenant ? Elle pleura, un peu, s’apitoya, beaucoup.

Une éternité se passa avant que Lisa ne se relève brusquement. Un soudain éclair de lucidité la mit en mouvement. Elle se glissa sous le bolide, vérifia quelques fils et se hissa dans la cabine.

— Je vais faire comme avec n’importe quelle machine. Je vais l’éteindre et le rallumer. Le temps fera peut-être de même.

Elle embrassa mentalement ses parents, inspira profondément et enclencha la manette. Des milliers de cris de surprise surgirent des haut-parleurs, couvrant le bruit sourd du bolide retombant sur le sol de Dibene.

Le feu des sang-mêlés

    Pour la troisième fois depuis la nouvelle lune, le clan fuyait à la recherche d’un nouvel endroit sûr. Cette fois-ci, leur éclaireur avait repéré le corps encore chaud d’un enfant métis. À la faveur de la nuit, le clan de Zikomo traversait la plaine en silence, passant d’un bosquet à l’autre en portant sur leur dos la moindre de leurs possessions pour ne laisser aucune trace derrière eux.

C’était un clan typique de métisses de Dulka, nullement lié par le sang dans leur veine, mais par celui versé par leurs parents. Ces compagnons de misères erraient depuis les purges menées par les natifs au sang pur. Bien qu’elle soit pourchassée comme les autres, Sila comprenait très bien leur colère. Le peuple de ses ancêtres avait envoyé de nouveaux colons et construit d’immenses villes sur Dulka, expulsant avec force et violence les clans qui occupaient ces terres depuis des siècles et même plus. Ses propres parents n’étaient alors que des enfants, mais les souvenirs étaient vivaces et leur voix empreinte de peine quand il contait cette histoire à la toute jeune Sila. Pacifiste à l’origine, le peuple de Dulka se souleva alors contre ses membres métisses, les repoussant, les maudissant et les rendant coupables de leurs malheurs. Les plus belliqueux exécutèrent purement les sangs mêlés, premiers pas vers un terrible génocide. Sila a été recueilli par Zikomo après avoir été banni de son clan, une terrible punition. Car s’il est une chose que le peuple de Dulka craint par-dessus tout, c’est bien la solitude.

— La force d’une personne se mesure à la force de son clan.

Ainsi parlait Zikomo.

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L'éveil de la Daeva - Extrait du Chapitre 1

    J’époussetai soigneusement mon uniforme, cirai mes bottes et lustrai mon insigne. J’espérais bien croiser le regard de l’Empereur cette fois. Le nœud dans mon ventre ne cessait de se tortiller. On frappa à la porte.

— Entrez.

La porte s’ouvrit pour laisser passer l’Archimage Riad.

— Sarosh, j’ai une lettre pour toi.

Je clignais des yeux, n’imaginant pas l’Archimage faire le coursier, avant de réaliser que la missive devait provenir de l’Académie.

— Est-ce bien ce que je pense, Archimage ?

— Exactement.

Il me tendit l’enveloppe que j’ouvris avec précipitation pour la lire avidement.

— Alors ? Quand est-ce que tu commences ?

Le texte était long et pompeux, vantant tour à tour le général Odrèk et l’Académie elle-même. Je sautais même quelques paragraphes à la recherche de la réponse tant attendue. Je me figeai, relus plusieurs fois le dernier paragraphe, puis posa la lettre sur le bureau, le regard vide.

— Sarosh ?

— Je… Ils ne me formeront pas.

— Merde ! C’est quoi ces conneries ? Depuis quand l’Académie refuse des élèves de ton potentiel ? Recommandé par le général en plus ! C’est n’importe quoi !

La surprise m’avait sonné. Je n’avais pas imaginé un seul instant le refus.

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Pionniers

    Agathe attendait patiemment sur son siège qu’Elias, son supérieur, la rejoigne. Celui-ci serrait vigoureusement le bras de chacun des membres d’équipage de la mission Exeré. Le départ de la navette était prévu dans une demi-heure, personne ne semblait pourtant se presser. La salle de contrôle était étroite, les éclats et les accolades résonnaient sur les parois de métal du vaisseau qui l’abritait. Le calme soudain surprit la jeune apprentie, elle était à présent seule avec Myron, l’un des ingénieurs de la mission.

– Ça y est. Ils vont rejoindre la navette. Pas trop nerveuse ?

– Un peu, mais ce n’est pas moi qui vais passer le portail !

– C’est vrai, dit-il d’une voix moins enjouée.

L’angoisse grimpa d’un cran. L’échec de la mission précédente pesait sur eux depuis le début, mais elle avait toujours fait en sorte de garder son optimisme.

– Agathe ? Test synchro, fit la voix de son maître.

Elle se dressa sur sa chaise et se rapprocha plus que nécessaire du cristal de communication.

– Test synchro OK.

Myron esquissa un sourire en se penchant sur le classeur des procédures d’urgence. Allez, professionnelle !

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La voix de la Déesse - Extrait du Chapitre 1

    Le printemps était d’une douceur agréable après un hiver glacial. J’avais entendu ça de la bouche d’un simple qui ne m’avait pas vu arrivé. Cet homme disait sans doute la vérité, mais les Dieux m’avaient privé de ce genre de considération, insensible au chaud comme au froid.

    J’embarquai dans ma litière qui fut soulevée par les simples qui se firent silencieux comme le voulait l’usage. Derrière les rideaux faits de voiles rouges et blanc, je regardais passer les formes floues du village jouxtant le manoir de l’Église. De petites ombres pleuvaient par moment, des pétales de fleurs lancés par les fidèles et accompagnés de cri de joie. Dans quelques minutes, seule la voix du grand prêtre résonnerait dans le silence. Mais pour l’heure, le peuple m’acclamaient.

    Mon transport s’arrêta. Nous devions avoir atteint la place de ce village. J’ajustai ma lourde coiffe et lissai ma robe de soie. Les rideaux s’entrouvrirent sur un tapis rouge et blanc. Après une longue attente, pour plus d’effet, je posai le premier pied dehors.

    Immédiatement, un concert de froissements de tissus et de corps accompagna l’assistance qui s’agenouilla, front contre terre. J’aimais particulièrement ce moment de la cérémonie, car c’était le seul où je pouvais observer les profanes. Les dos vulnérables et les turbans se présentaient à moi et je m’amusais à imaginer leur vie. Celui-ci doit être boulanger. Cet autre est vraiment immense ! Et celui-là est un homme ou une femme ? Un bébé se mit à pleurer. La femme qui le portait dans son dos le fit basculer devant elle d’un mouvement habile. Sans quitter le sol des yeux, elle le glissa sous sa tunique et l’enfant se tut. Il y en a toujours un pour brailler, pensais-je en fronçant le nez.

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Perdu dans un mirage

    Un vaste manteau de nuages masquait la géante gazeuse sans nom qui, à cette époque de l’année, emplissait la majeure partie du ciel de E1-125. Un portail de taille modeste vint troubler cette monotonie cotonneuse et plusieurs vaisseaux de l’Empire en jaillirent dans un vrombissement sourd.

Je frissonnais. Ce n’était pas à cause de la température glaciale qui régnait à l’extérieur. J’avais juste toujours détesté les voyages intersphères. Contrairement à mes deux compères, je n’étais pas un mage et j’avais toujours eu peur de me retrouver bloquée entre deux mondes. Imaginez que l’un des portails vienne à rompre la liaison ! Encore une fois, nous avions franchi le passage sans encombre, à mon grand soulagement.

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