— C’est l’idée la plus stupide que j’ai jamais entendue.
Samuel observait Lisa, les bras croisés. Cette dernière avait la tête sous le châssis de la voiture. On entendait cliqueter son outil.
— Ce que tu peux être rabat-joie ! Mais tu verras, tu me remercieras.
— Je te remercierais d’être dans un fauteuil jusqu’à la fin de mes jours, au mieux !
Elle se fit coulisser pour afficher un air vexé. Elle se redressa d’un bond, envoya son outil avec force sur son plateau et attrapa un chiffon pour se frictionner les mains en lui tournant le dos.
— C’est ça, boude. C’est pas toi qui le conduiras ce machin, ça se voit !
À son tour, il pivota et se dirigea vers la sortie de l’atelier.
— Si tu voulais pas prendre de risque, fallait pas t’inscrire à la course. Et puis, si tu ne veux pas le faire, je le ferais.
Samuel pouffa.
— T’es mécano, pas pilote.
— D’abord, j’suis ingénieure, banane. Ce machin, je le connais mieux que toi. Et puis c’est toi qui es venu me chercher en premier lieu. Alors si ma solution te convient pas, j’me casse.
— Je t’ai demandé d’améliorer ma vitesse, pas d’en faire une fusée !<!–more->
— Et bien, c’est fait. Après, j’t’oblige pas à t’en servir. Maintenant, ciao.
Elle lui passa devant avec colère et le laissa en plan.
Samuel et Lisa se connaissaient depuis tout petit. Ils ne s’étaient jamais tout à fait quittés malgré leur caractère très différent, à l’exception de leur entêtement. Mais ils finissaient toujours par trouver un compromis, jusqu’à cette fois. Quand Lisa reçut un coup de téléphone en pleine nuit, elle commença par enguirlander sévèrement son interlocuteur. Quand celui-ci put en placer une, elle reconnut la voix de Grégoire, le colloc de Samuel.
— Lisa ! S’il te plait, écoute-moi. C’est Samuel. Il y a eu un accident.
— Hein ? Comment ça ? Est-ce qu’il…
Le mot ne voulut pas sortir de la gorge de Lisa qui imaginait déjà les pires scénarios.
— Il est à l’hôpital. Il est hors de danger, mais… il ne pourra plus piloter. Et beaucoup d’autres choses.
Le savoir en vie enleva un énorme poids sur le cœur de Lisa, mais son inquiétude ne se fit pas moins grande.
— Mais qu’est-ce qu’il s’est passé, bordel ?!
Grégoire ne répondit pas tout de suite, torturant les nerfs de Lisa.
— Il a passé l’après-midi à se plaindre de ton bricolage sur son bolide. Quand je lui ai suggéré de s’en débarrasser si ça lui plaisait pas, il a filé au garage.
— Tu lui as dit quoi ?! Espèce d’abrutis ! Qu’est-ce que tu lui as mis dans le crâne ?
— J’pensais pas qu’il allait le faire, moi !
Lisa n’eut pas besoin d’en savoir plus, elle savait très bien ce qu’il s’était passé. Le turbo qu’elle avait installé était doté d’une pile à manier avec précaution quand il était au repos. Samuel avait de la chance d’être en vie.
— Envoie-moi l’adresse de l’hôpital, dit-elle avec froideur.
Cet idiot lui a donné l’idée, mais c’est moi qui lui ai installé.
La gorge serrée, elle pressa la main de Samuel. C’était l’une des rares parties de son corps intact. Son bras droit avait été arraché tout près de l’épaule et sa jambe droite amputées au-dessus du genou. Une grande partie de sa peau brûlée était couverte de pansements et seul son œil gauche était visible sous l’amoncellement de tubes. Il s’était réveillé au bout de deux jours et n’avait aucun souvenir de l’accident et des quelques jours qui l’ont précédé.
— Hello Samuel, c’est moi. Tu sais, l’idiote qui t’a mis dans cet état.
Le sourire de Lisa n’atteignit pas ses yeux. Elle inspira profondément pour ravaler les larmes qui tentaient de pointer le bout de leur goutte. Ne pouvant parler, il répondit en clignant des yeux.
— Bref, j’ai des nouvelles de la docteure. Elle est optimiste. Tu devrais sortir dans quatre jours, juste à temps pour voir la course de cette année. C’est pas parce que tu peux pas participer cette fois que tu n’peux pas prendre ta dose de tôles froissées !
Samuel ferma son œil unique et une larme solitaire coula sur ses pansements. Lisa se rapprocha du lit en frottant vigoureusement la main de Samuel de son pouce.
— Hé, tout va s’arranger. Super Lisa est là, hein ? J’ai une autre solution, j’te l’dis tout de suite, y’a rien de garanti. Bon, j’ai une amie, Ziya, elle est dans la recherche en bio-ingénierie. J’ai réussi à la joindre et je luis ai parlé de ton cas. Avec son équipe, elle a mis au point une nouvelle méthode de reconstruction qui pourrait te faire oublier tout ça. Quand je dis tout, c’est tout ! Jusqu’au dernier orteil ! Mais je te l’ai dit, il n’y a rien de garanti et il y a un petit détail qui pose problème. Ça coûte extrêmement cher. Deux millions de crédits.
Samuel cligna frénétiquement des yeux à l’annonce de ce prix exorbitant. C’était le premier prix de la course de Dibene, mais c’était surtout suffisant pour vivre une vie entière sans se soucier du lendemain.
— Mais t’inquiètes pas. Tu me connais, j’ai la solution pour ça aussi. J’ai réussi à sauver ton bolide, avec lui, je vais participer à la course de Dibene. Et j’vais le gagner ce prix, mon pote.
Samuel fixait Lisa, l’œil rond. Elle laissa échapper quelques larmes.
— Tu verras, je vais te montrer ce que peut faire une mécano comme moi, lança-t-elle dans une vaine tentative de cacher le sanglot qui se glissait dans sa gorge.
— T’es complètement folle !
Quand il fut enfin libéré de ses tubes, Samuel ne manqua pas de rattraper le temps perdu.
— Je ne peux pas te laisser participer, tu vas te faire tuer. C’est pas une petite course pépère, tu joues ta vie !
— Je le sais ! Et tu as déjà joué la tienne à cause de moi. Tu crois vraiment que je vais rester les bras croisés ?
La conviction de Lisa n’avait fait que se renforcer en découvrant le nouveau visage de son ami. Son nez raccourci, sa peau craquelée et rouge, son oreille rabougrie et son œil droit vide. Il soupira.
— Quoi que j’dise, tu feras ce que tu veux, hein ? C’est pas pour rien que t’es devenu ingénieur alors que moi…
— Arrête de réfléchir, ça ne va pas à ton teint. Laisse tata Lisa gérer ça pour l’instant, tu pourras te poser des questions existentielles après. D’accord ?
Il soupira un peu plus fort, autant épuisé par les soins que par dépit.
— Tu peux au moins me promettre d’y penser, jusqu’au dernier moment ? Je ne t’en voudrais pas si tu abandonnais à la dernière minute. Vraiment pas.
— J’crois que j’peux faire ça.
Même si elle savait ce qui devait être fait, à chaque instant elle savait aussi qu’elle le regretterait. Lisa avait installé un nouveau turbo sur le bolide de Samuel et se préparait à installer son arme secrète. C’était un projet expérimental obtenu par son amie Déborah, spécialiste en physique quantique appliquée.
— Si tu veux que ça s’enclenche sans perte d’information, l’alimentation doit être ultrastable, commença Déborah. Et il faut une montée en puissance instantanée.
— Qu’est-ce que tu penses d’un déclencheur neuronal couplé à une batterie plasma ?
— En temps normal, je t’aurais dit qu’il faudrait faire différents essais, suivant une centaine de critères.
— Il ne reste que deux jours, Deb.
— Ça pourrait le faire.
Déborah était assise sur une chaise à roulette, les bras croisés sur le dossier. Elle suivait les gestes assurés de Lisa. Elle avait essayé à son tour de dissuader l’ingénieure, mais convaincu de la vanité de la démarche, elle choisit de lui apporter son aide.
— Tu es sûre que tu n’auras pas de problème si on découvre que ce prototype a disparu ? demanda Lisa.
— Inquiète-toi d’abord pour toi. Je te l’ai dit, on a tout juste testé le TéCPI sur des cafards. La portée est encore approximative et le diamètre du tunnel variable. Tu prends plus de risques que moi.
— Mais il fonctionne ?
— Oui, mais on ne sait pas son effet sur un organisme aussi complexe que le nôtre. Ou même sur le cerveau.
Lisa glissa sous le châssis pour faire glisser le câble d’alimentation.
— Rappelle-moi le principe, s’il te plait ?
Déborah souffla de lassitude.
— En terme simple, au contraire de la téléportation classique, le TéCPI n’accélère pas la vitesse de l’objet à transporter, il accélère le temps en formant un tunnel, récita-t-elle. L’objet semble téléporté instantanément alors qu’il n’a fait que voyager dans un temps plus rapide.
— Je ne vois donc pas ce que ce voyage pourrait me faire. Ça me parait moins risqué que d’aller sur Mars ou Europe avec un téléporteur à conversion !
— Oui, c’est le but. Mais on ne pourra pas aller aussi loin. Tu imagines devenir instantanément vieux aux yeux des autres ?
Lisa s’extirpa avec un sourire en coin.
— Mais on pourrait rallonger le weekend comme ça ! Ou faire des fours à cuisson instantanée !
Déborah ouvrit la bouche, mais resta sans voix.
— Tu sais que tu n’as pas que des mauvaises idées, toi !
Lisa sourit, mais il s’estompa devant le souvenir de Samuel et la culpabilité qui l’accompagnait.
C’était le grand jour pour Samuel, le docteur venait de confirmer son autorisation de sortie. Lisa était là évidemment, si loin de ses parents, il n’avait qu’elle.
— Alors ? Prêt à me donner les derniers conseils de professionnel ? demanda-t-elle en souriant faiblement.
— Je me suis entraîné toute l’année pour cette course. Si tu la finis en vie, je serais satisfait.
Samuel ne souriait pas. Assis avec raideur dans son fauteuil à lévitation, il évitait le regard de Lisa tout autant que les vitres susceptibles de lui renvoyer son image.
— Tu as donc intérêt à t’y mettre si tu ne veux pas que je fasse une bête erreur de débutant.
— Voyons voir, d’abord, ce que tu as fait de mon bébé.
Dans l’atelier, Samuel examina brièvement le bolide. Il n’avait pas envie de rester devant sa machine, Lisa voyait bien la douleur sur son visage. Quand ils montèrent finalement sur la terrasse de l’atelier pour discuter, il s’avéra peu bavard. Lisa savait qu’elle aurait besoin de ses conseils, mais il avait encore plus besoin de penser à autre chose.
— Ma tête va exploser ! On a bien mérité une pause. Ça te dit un petit holo pour se détendre ?
— Hmm, se contenta-t-il de répondre.
— Et si je te dis que je te laisse choisir un de tes films et que tu auras le droit de manger de la pizza sur mon canapé ?
Un sourire parvint à se frayer un chemin au coin de ses lèvres.
— En fait, je me suis pas réveillé c’est ça ?
Si Lisa mourait dans cette course, elle serait heureuse de l’avoir vu sourire encore une fois.
Lisa passa les deux jours suivants à s’entraîner sur la piste virtuelle. Elle n’était peut-être pas la meilleure pilote, mais elle se défendait bien et compensait son manque d’expérience par vitesse de réaction impressionnante. Après tout, elle avait conçu des dizaines d’aéronefs orbitaux et suborbitaux qu’elle avait personnellement testés. La voiture de Samuel n’était qu’un autre véhicule, avec une dimension en moins.
Son bracelet vibra à son poignet, brisant sa concentration et manquant de la faire percuter un mur virtuel. Elle coupa le simulateur et la voiture descendit en douceur sur ses patins. Elle vérifia son bracelet et lut le message que lui avait envoyé sa mère. Celle-ci attendait de ses nouvelles. Lisa ne l’avait pas prévenu pour Samuel et encore moins de son intention de participer à une courte potentiellement mortelle. Elle soupira en laissant retomber son bras.
— De toute façon, il est temps de rentrer se coucher.
Son départ pour Dibene était prévu pour le lendemain, mais son cerveau tournait à plein régime. Elle aurait besoin d’un cachet pour arriver à s’endormir.
Samuel la suivait en baissant les yeux pour ne pas subir les regards curieux. Déborah était là aussi, elle ne voulait rien manquer de la performance du TéCPI et de Lisa. La jeune ingénieure était parfaitement calme en apparence, mais elle bouillonnait à l’intérieur. L’ambiance dans le complexe de Dibene était étourdissante. Ils passèrent devant les longues files d’attente pour le Grand Stade et suivirent les indications jusqu’aux salles privées. Les proches des participants avaient accès à des versions plus petites du Grand Stade qui leur étaient réservées. Elle était rarement utilisée, sauf pour les pilotes les plus fameux. Lisa jeta un œil à l’intérieur de l’une d’elles, tout juste quelques personnes étaient installées devant l’un des multiples écrans holo.
— Je m’attendais à plus de monde, s’étonna Déborah.
— C’est toujours comme ça, d’après ce qu’on m’a dit, répondit Samuel qui se dirigea déjà vers une petite alcôve en retrait.
Rassurée de savoir ses amis confortablement installés, elle les embrassa avant de rejoindre le garage où l’attendait son engin.
Le garage était en réalité un simple hangar où des dizaines de véhicules stationnaient sur des emplacements délimités par de larges bandes jaunes. Elle étudia rapidement ses concurrents et avait déjà repéré quelques sérieux adversaires, tout de moins leurs matériels, tout en imaginant des stratégies pour les contrer. Elle s’affaira à son tour aux derniers réglages de son bolide. Elle avait préparé en hâte une checklist et vérifiait un à un les paramètres. Sans surprise, tout était au vert et elle put se préparer mentalement à jouer la course de sa vie. Littéralement.
Une fois sur la ligne de départ, les cris de la foule retransmis par les haut-parleurs dopèrent son niveau d’adrénaline déjà élevé. Quand le décompte fut affiché, Lisa hésita. Elle était ingénieur, pas pilote. Mais qu’est-ce qu’elle faisait là ? Elle allait se tuer. Et le départ fut annoncé par un puissant son de corne. Ses doutes s’envolèrent en même que ses adversaires. S’ils ne dépassaient les quelques mètres réglementaires — l’une des rares règles de cette course mortelle —, on pouvait aisément y voir un immense essaim de métal décollant aux sons de centaines d’explosions. Lisa fut rapidement distancée par le peloton de tête. Le terrain presque plat au départ, devint de plus en plus chaotique. Des tunnels firent leur apparition et certains coureurs s’y engouffrèrent, parfois pour ressortir plus loin et d’autres fois brutalement arrêté par un cul-de-sac. Lisa avait anticipé cela avec un puissant sonar lui dévoilant les sous-sols du terrain. Elle se fit quelques frayeurs, mais devenait plus assurée à chaque minute tout en gagnant des places. Arrivée à mi-parcours, elle avait laissé derrière elle le gros du peloton et talonnait un étroit véhicule qui zigzaguait sans peine au milieu des violents geysers tout en l’empêchant de passer. Elle réfléchit un bref instant avant de se glisser sur le flanc de son adversaire. La route se resserrait en un étroit goulot et un large geyser le traversait. Ils ne pourraient pas l’éviter tous les deux. Lisa réduit la distance entre eux et leurs coques s’entrechoquèrent. Elle insista encore plus, plaçant son adversaire sur la trajectoire du geyser. Le goulot approchant, il réagit en braquant brutalement contre le bolide de Lisa qui ne bougea pas d’un pouce, contrairement à la légère fusée qui fut propulsée contre la falaise. Sans se retourner, Lisa fila à l’aide de son turbo.
Son dernier opposant avant la première place était coriace, il semblait anticiper toutes ses tactiques. Lisa ne put trouver aucune faille dans sa défense. En vue de la ligne d’arrivée, elle se résolut à utiliser sa botte secrète. Pour Samuel. Alors que son adversaire n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres de la victoire, elle abaissa la manette du TéCPI. Immédiatement, une puissante lumière l’éblouit suivi d’un puissant choc. Elle perdit la notion de haut et de bas, jusqu’à ce qu’une violente douleur à la tête ne ravive ses sens. Elle retira son casque qui semblait lui presser le crâne et parvint à se redresser. Le bolide semblait avoir percuté un mur invisible. Le nez était miette jusqu’aux derniers centimètres avant la cabine de pilotage. Le reste paraissait étrangement intact. Les moteurs fonctionnaient encore, faisant tanguer le cockpit au point de donner la nausée à Lisa. Elle coupa l’alimentation des réacteurs et regarda autour d’elle. Elle hoqueta de surprise en voyant son adversaire une dizaine de mètres en arrière. Levant les mains pour se protéger, elle réalisa l’inutilité de son geste. Le véhicule était parfaitement immobile. Tout comme le reste du monde, du moins de ce que Lisa pouvait en voir. C’était l’effet du TéCPI. Elle en était persuadée, tout comme elle était persuadée que quelque chose avait mal tourné. Il n’aurait dû s’activer que quelques secondes. Elle descendit avec précaution pour vérifier le boitier. Éteint. La panique se fit une place au coin de sa tête, mais elle réussit à l’ignorer.
— Bon, s’il est éteint et que le faisceau est encore actif, ça veut dire que je vais devoir attendre qu’il se dissipe tout seul. N’est-ce pas, Deb ?
Évidemment, personne ne lui répondit. Elle baissa les yeux et réalisa qu’elle avait franchi la ligne d’arrivée. Si elle sortait de là, elle aurait gagné la prime et Samuel aurait son opération. Pourtant, son angoisse l’empêcha de savourer cette victoire. Attendre, c’est tout ce qu’elle pouvait faire. Malgré ses connaissances, elle était impuissante. Les minutes passèrent, une éternité. La curiosité et l’ennui poussèrent Lisa à chercher les limites du faisceau. Elle s’approcha de l’avant de son bolide en présentant la paume de sa main devant elle.
— Si j’en crois les dommages sur la coque, la limite ne devrait pas être.. !
L’air lui opposa une certaine résistance qui s’accompagna d’un léger picotement. La sensation se fit de plus en plus forte avant d’être douloureuse. Lisa recula vivement en tenant son poignet. Elle baissa les yeux sur sa main qui était devenue rouge et couverte de cloques.
— On dirait une irradiation… Oh, merde. J’espère…
Même parfaitement seule, elle ne put le dire à haute voix. Si le faisceau se dissipait progressivement, elle risquait de griller, brûlée par l’énergie emmagasinée. Elle recula pour se placer au centre du faisceau. Et une nouvelle pensée vint achever le peu d’optimisme qu’il pouvait lui rester. Quand bien même le faisceau ne s’étrécirait pas, d’ici quelques heures, elle suffoquerait. Elle chercha du réconfort en décortiquant une à une les informations techniques que lui avait fournies Déborah. Elle étudia le problème sous différents angles, déduit la forme du faisceau en lançant du sable, calcula son volume pour déduire le temps exact d’oxygène. Mais quand bien même elle aurait émis de nouvelles hypothèses sur le fonctionnement même du temps, elle était toujours coincée. Seule. La situation n’avait pas plus évolué que les molécules en dehors du faisceau.
La peur gagna totalement Lisa. Elle pensa à Samuel, à ses parents, à sa vie amoureuse inexistante, à sa vie personnelle qui se résumait à son travail. Sa vie avait-elle valu le coup d’être vécu ? Avait-elle seulement vécu avant aujourd’hui ? Elle qui se targuait de tout savoir sur le monde se révéla incapable de comprendre la vie elle-même. Et dire qu’elle n’était jamais entrée dans le café en bas de chez elle, alors qu’elle voulait y aller un jour pour tester leurs délicieuses meringues. Mais pourquoi pensait-elle à cela maintenant ? Elle pleura, un peu, s’apitoya, beaucoup.
Une éternité se passa avant que Lisa ne se relève brusquement. Un soudain éclair de lucidité la mit en mouvement. Elle se glissa sous le bolide, vérifia quelques fils et se hissa dans la cabine.
— Je vais faire comme avec n’importe quelle machine. Je vais l’éteindre et le rallumer. Le temps fera peut-être de même.
Elle embrassa mentalement ses parents, inspira profondément et enclencha la manette. Des milliers de cris de surprise surgirent des haut-parleurs, couvrant le bruit sourd du bolide retombant sur le sol de Dibene.